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30 décembre 2009

Statistiques politiquement incorrectes... et trompeuses

Comme chaque année, le Bureau Central de Statistique publie ses dernières données démographiques. Selon lui, la population d'Israël est estimée en date du 31 Décembre 2009 à 7,5 millions d'habitants, dont environ 5,7 millions sont juifs (75,4% de la population), 1,5 million arabes (20,3%) et 319.000 définis comme "autres" (chrétiens non-arabes et habitants sans classification religieuse, 4,3%).

Mosquée Hassan Beck - Tel-Aviv

Ces distinctions ne sonneront pas politiquement correctes pour des oreilles françaises, mais dans notre pays pluriel et multiculturel, cela n'a rien de choquant.
Le problème est ailleurs, dans ce qui n'est pas dit: le Bureau ne précise pas que sont comptés parmi les Juifs environ 300.000 résidents des implantations de Cisjordanie (alias "Territoires", "Territoires disputés", "Territoires occupés") - citoyens, bien que résidents hors du territoire national - et que ne sont pas comptés les Arabes de Jérusalem-Est - non-citoyens, mais résidents dans le pays tel qu'il est défini par la loi israélienne - non plus que les Arabes de Cisjordanie et de la bande de Gaza, à la fois non-citoyens et hors des frontières politiques. Ne sont pas comptés bien sûr les travailleurs émigrés - particulièrement nombreux, légaux ou illégaux - et réfugiés soudanais, ainsi que leurs enfants, même ceux nés dans le pays, et qui vivent tous sur le territoire israélien.
Les données sont approximatives, étant donné que nombreux sont ceux qui ne remplissent jamais un formulaire de recensement, Arabes ou Juifs orthodoxes.
Tous les cas de figure sont représentés! Telle est la réalité brute, qui n'est pas reflétée par les données statistiques officielles.

135.000 personnes se sont ajoutées cette année à la population israélienne (1,8%). Les juifs devraient arriver au chiffre - oh combien symbolique - de 6 millions aux environs de 2012.

Israël + territoires, au total, match nul!

Le statut des "colons" est particulier: ils font partie intégrante de la population israélienne, mais les Territoires où ils habitent n'ont pas été annexés à l'Etat d'Israël. C'est pourquoi politiquement (et juridiquement me semble-t-il) ils ne peuvent être simplement qualifié d'"occupés"; une partie d'entre-eux est détenue sous contrôle militaire israélien, une autre est sous administration palestinienne autonome, mais ils ne font pas partie du territoire israélien et la loi israélienne n'y est pas appliquée.

Tel-Aviv / Sakhnin - le foot rapproche parfois!

Les habitants arabes de Jérusalem-Est ont un statut pas moins particulier: ils vivent dans une zone annexée au territoire israélien et ne sont pas citoyens de l'Etat; ils détiennent toutefois une carte d'identité israélienne  qui leur garantit la protection sociale des citoyens. Ils peuvent obtenir la nationalité mais ne le font pas pour la plupart. Ils peuvent voter aux élections municipales de Jérusalem ainsi qu'aux élections nationales palestiniennes, mais s'abstiennent  généralement dans les deux cas.
L'un d'entre-eux a qui j'ai demandé pourquoi il ne prenait pas la nationalité israélienne m'a expliqué qu'il préférait garder son passeport jordanien: il ne perd rien de ses droit sociaux et peut voyager librement dans les pays arabes et visiter sa famille en Jordanie.

Les habitants non-juifs d'Israël jouissent de droits de citoyenneté complets, bien que, ou étant donné que, l'Etat est défini comme "juif et démocratique".
La nationalité arabe palestinienne des citoyens arabes n'est donc pas reconnue, mais ils possèdent une autonomie culturelle et linguistique entière. L'arabe est deuxième langue officielle de l'Etat avec l'hébreu, et tous les documents officiels, la monnaie, les panneaux de la route et noms de localité sont en principe écrits dans les deux langues. Sans être politiquement un Etat binational, la binationalité est partout présente. Alors l'Etat d'Israël s'appelle officiellement aussi bien دَوْلَةْ إِسْرَائِيل que מְדִינַת יִשְׂרָאֵל.

Face au chiffre de 20% de citoyens israéliens arabes (donc Palestiniens de leur point de vue), dont le pays s'accommode relativement bien, on ne voit pas trop pourquoi un futur Etat palestinien devrait être "pur" de tout juif. Pourquoi les Juifs ne pourraient-ils pas jouir par exemple d'une double-nationalité?


Et on voudrait faire de tout cela deux Etats-Nation homogènes bien définis!

Une solution originale et créative est nécessaire. Avec une peu de bonne volonté et d'imagination - même si ce sont des denrées rares - rien ne devrait être impossible.

Yes, There must be another way!


Et en prime un livre très instructif

15 décembre 2009

La Halakha oui, mais en quel Etat?

Le ministre de la Justice, Yaacov Nééman a déclaré la semaine dernière dans un congrès sur le droit hébraïque: "La Torah contient une solution complète à toutes les questions auxquelles nous faisons face", "Il faut faire des lois de la Torah le droit contraignant dans l'Etat d'Israël. C'est la bonne façon de nous restituer les lois de la Torah - pas après pas.”
Ce pavé dans la mare, lancé en plus par le plus haut responsable du système juridique, a fait des vagues.

Les rabbins ont applaudi, mais la plupart des réactions dans les médias - reflétant le consensus laïc majoritaire - a été de crier "la démocratie en danger" et d'agiter l'épouvantail d'un Etat de la Halakha, un "Etat talibanique"! C'est le cas de cet article du journal Maariv traduit ici en français.

Un article d'un blog publié sur plusieurs sites juifs francophones défend l'opinion contraire: selon son auteur, Bertrand Ramas-Muhlbach,  il serait souhaitable de fonder le droit israélien sur la Halakha (la loi rabbinique dérivée du Talmud). Cet article mérite d'être lu car il reflète l'opinion de nombreux israéliens religieux et sionistes modérés qui pensent qu'il suffirait d'ajouter un peu plus de religion, de lois inspirées du droit hébraïque, pour obtenir un parfait "Etat juif".
J'ai répondu à cet article et je reprends ici ma réponse:

Non, prendre la Halakha comme source du droit israélien n'est pas nécessairement une idée saugrenue, de prime abord, mais ce serait une révolution dont l'auteur de cet article ne semble pas mesurer toute l'ampleur.
Il écrit: "La Thora et la Halakha ne s’opposent donc en rien à la démocratie ".
Elles ne s'opposent pas toujours dans le détail de leur contenu, tel que la liberté d'expression (mahloket) ou l'éthique, c'est vrai.
Mais Thora et démocratie sont totalement incompatibles dans leur principes fondateurs: "démocratie" signifie "pouvoir du peuple", que toute souveraineté relève du peuple, que sa volonté est fondement du droit.
"Souveraineté du peuple" veut dire que le peuple ne reconnaît aucun autre souverain au-dessus de lui-même, aucune loi transcendante. La démocratie est autonomie et rejette toute hétéronomie.
La Torah, la Halakha, sont fondées sur le principe inverse: Dieu est l'unique souverain et source du droit. Il s'est donné un peuple en le faisant sortir d'Egypte. Il a choisi des hommes sans aucun pouvoir propre, des esclaves, pour que de serviteurs de Pharaon ils puissent devenir directement et immédiatement Ses serviteurs à Lui et à nul autre.

Les conséquences de ces deux approches sont elles-aussi totalement opposées:
- dans l'Etat démocratique, non juif dans ses fondements comme l'est Israël aussi, le droit est le moyen d'assurer l'existence de l'Etat et de la cohésion sociale. En cas de danger pour l'Etat, toute loi ou constitution peut être abolie et remplacée par une autre: l'indépendance du peuple sur sa terre prime tout, c'est "la Raison d'Etat".
- dans un Etat juif, un Etat halakhique, c'est le contraire: la terre est donnée afin que le peuple y fasse régner D. Si la Loi transcendante est rejetée, l'Etat n'a plus de raison d'être.

Jadis, les couronnes de la Torah n'étaient pas qu'un symbole

Comme le prévient le Shema, le peuple sera dispersé s'il rompt l'Alliance.

Il y a beaucoup d'autres conséquences incompatibles avec la démocratie parlementaire. Entre autres: pouvoir législatif qui n'est en fait que juridique (d'interprétation de la Loi) et réservé à des spécialistes, les rabbins; juges qui seront pour la plupart des rabbins; différentes catégories de citoyens inégales devant la loi: femmes, étrangers...; les personnes juridiques morales - sociétés anonymes, associations, Etats, corps d'Etat et administrations - n'existent pas dans la Halakha, mais seules les personnes humaines associées (shoutafim); la propriété ne peut être que privée, la personne "Etat" ne peut être une entité reconnue et donc ne peut être propriétaire de terres; les hiérarchies administatives n'existent pas non plus, il n'y a que des délégués (shlihim) qui reçoivent mandat des seuls citoyens mâles et majeurs pour une mission donnée. Ces délégués doivent impérativement être des juifs (benei brith, membres de l'Alliance). Mais ces domaines civils de la loi rabbinique sont ignorés des yeshivot et des rabbins, ce qui fait qu'ils ne sauraient pas comment faire fonctionner un Etat vraiment juif. Il leur faudrait étudier le droit constitutionnel, les sciences politiques et la théorie juridique de l'Etat pour comprendre la position halakhique sur ces questions. Commençons donc par faire le travail théorique! Lorsque l'auteur conclue "rien n’interdit d’admettre progressivement la Thora et la Halakha dans le système social israélien" il démontre qu'il n'a pas même commencé à s'y atteler. L'application de la loi juive métamorphoserait toutes les structures sociales du pays.

La Halakha peut évoluer dans son contenu - égalité des femmes (dans la différence), droits des non-juifs, musulmans et chrétiens, (intégrés dans l'Etat juif ou associés en fédération?) etc. - mais elle ne changera pas dans ses principes. L'introduire progressivement dans le droit étatique israélien, comme le proposent le ministre Nééman et à sa suite l'auteur de cet article, serait trahir la Halakha dans ses fondements et la dénaturer.

Dans un Etat-Nation ne peut exister qu'un seul peuple souverain. L'Etat d'Israël actuel n'est juif que de façon symbolique, il est démocratique dans ses fondements et tout citoyen, quelque soit son appartenance religieuse et "ethnique" est l'égal des autres devant la loi. La Halakha a déjà un pouvoir juridictionnel dans le domaine du statut personnel, mais elle ne détient ce pouvoir que de la bonne volonté du législateur laïque, la Knesset. Il en est de même pour la Shaariya qui règle le statut personnel des musulmans d'Israël et pour les tribunaux confessionnels chrétiens. Toutefois, la définition d'Israël "Etat juif" fait déjà problème et interdit aux citoyens non-juifs de se sentir des citoyens à part entière pleinement chez eux.

Nééman parle de faire de la Torah la Loi dans l'Etat d'Israël. L'Etat, pour lui, n'est donc pas remis en cause dans sa nature d'Etat-Nation et reste le cadre global au-dessus de la loi elle-même. Cela reviendrait à mettre une législation juive, la Halakha, au service du nationalisme juif et de son Etat-Nation souverain, ce qui en ferait une législation raciste, soumettant les non-juifs au pouvoir des juifs. Il n'y aurait pas de plus grande profanation de la Torah et tout serait alors perdu.
Les grandes religions monothéistes issues du judaïsme - le christianisme et l'islam - ne peuvent être traitées dans le cadre des catégories de la Halakha qui s'adressaient aux païens: étrangers résidents, noachides, idolâtres. Inversement, les deux religions-filles doivent elles aussi reconnaître leur dette envers la religion-mère d'Israël et renoncer à leur désir de la soumettre ou de la faire disparaître par conversion ou par les armes.
Car finalement, c'est là qu'est tout l'enjeu: apprendre à faire place à l'autre, à l'étranger.

Reconnaître le Souverain du Monde comme souverain supranational unique et exclusif - comme le fait fondamentalement la Halakha - permettrait au contraire aux différentes nations monothéistes d'Israël d'être reconnues dans leur identité nationale et de vivre sur un pied d'égalité: soumis et alliés au même Souverain, mais indépendants les uns des autres, Juifs, Musulmans et Chrétiens pourraient former alors l'alliance des tribus fédérées d'un nouvel Israël. J'ai décrit dans un post précédent Israël Etat juif? à quoi pourrait ressembler cette fédération.
La Halakha au sens strict ne concernerait que l'Etat juif dans la fédération israélo-palestinienne; dans ce cadre fondamentalement égalitaire, la Halakha pourra reprendre sa marche antique et redevenir ce qu'elle a été au cours des siècles: le système de droit le plus avancé de son époque.

Il ne faut pas se voiler la face: si on ne trahit pas la Halakha dans ses principes, fonder le droit d'un Etat juif sur elle sera une révolution totale qui ne laissera rien subsister de l'Etat d'Israël actuel.
J'appelle cette révolution de mes voeux.

Petite bibliographie, pour y comprendre quelque chose





Benamozegh, à lire absolument!







30 août 2009

Israël Etat juif?



Philippe, un visiteur du blog, m'a envoyé le message suivant :


"A propos d'israel comme Etat juif



Bonjour,

je découvre votre blog avec beaucoup d'intérêt. Je voudrais vous poser une question: je comprends bien l'importance pour les juifs, de part de le monde, de préserver le judaïsme de l'Etat d'Israël et je comprends également l'inquiétude des Israéliens devant la menace que fait peser les évolutions démographique sur cet aspect. Bien qu'étant non juif, la majorité de mes amis le sont: je sais l'importance d'Israël pour eux et je ne peux envisager un instant qu'Israël ne reste pas, ad vitam eaternam, la patrie du peuple juif.

LabyrintheDans le même temps, je me pose une question "philosophique". Comment accepter de construire un Etat fondé sur une ethnie/une religion (le judaisme a ceci de particulier que la religion et l'ethnie se confondent - ce qui est probablement pour beaucoup dans les persécutions qu'à connu ce peuple) alors même que c'est cette idée même de construire un Etat fondé sur la "pureté" ethnique qui est à l'origine de la pire barbarie dont le peuple juif a souffert? N'y a t-il pas là une contradiction fondamentale?

Je n'ai pas de réponse évidente à cette question et je serai heureux de lire votre point de vue.

Merci d'avance."



J'ai répondu longuement, mais ma réponse est restée sans suite. J'aurai pu me débarrasser de la question en quelques mots: les Juifs (écrit avec une majuscule) sont un peuple historique, et non une ethnie et/ou une religion, donc ils un droit à un Etat selon le principe du droit à l'autodétermination des peuples.


Mais il est clair que pour un Français républicain - comme pour le citoyen de tout autre Etat-Nation - les citoyens juifs de son pays sont une part intégrale de sa nation, et ne peuvent donc être compris que comme une des ethnies ou religions qui la compose, et non comme une nation à part entière. Il n'y a plus guère que des antisémites pour considérer les juifs comme un vrai peuple!
J'ai donc développé ma réponse pour apporter les éclaircissements conceptuels qui s'imposent. Je la publie ici:


Le problème vient de la nature de l'Etat-Nation
Je suis d'accord sur le fait qu'il y a contradiction entre judaïsme et Etat, mais je vois cette contradiction différemment.


Je pense d'une part que le peuple juif n'est pas un mélange d'ethnie et de religion. Ces concepts n'existent pas dans le judaïsme ou la Bible, et lui sont étrangers au fond.
Pour parler en français d'aujourd'hui, je pense qu'il serait plus juste de dire que le judaïsme est originellement une sorte de république spéciale: sa constitution est la Bible, son souverain est le Créateur du monde qui lui a donné ses lois fondamentales, son territoire est la Terre d'Israël qui appartient au "Roi des rois", mais la souveraineté de ce dernier n'est pas territoriale, elle est personnelle et s'applique aux citoyens de cette république, les membres de l'Alliance (du "contrat social" juif, en grossière approximation) où qu'ils soient sur terre, chacun personnellement.


"Dieu", le souverain de la Respublica Hebraeorum (pour reprendre l'expression consacrée par Bertram, Cunaeus, Althusius, Grotius, Selden et autres théoriciens politiques des débuts de la Réforme), est roi au sens politique aussi du terme: le judaïsme n'est pas une religion, ou pas qu'une religion. La Bible est la première à avoir séparé les pouvoirs des prêtres de celui du roi. Contrairement à ce que l'on croit généralement, les rabbins sont des laïcs, à la différence des prêtres (cohanim) qui n'ont plus de fonction depuis la destruction du temple. Elle a institué il y a 3000 ans l'idée même de citoyenneté égale devant la loi, les droits égaux pour l'étranger, la conscription nationale, l'impôt égal pour tous, la réforme agraire (partage de la terre sous Josué), la protection sociale (de l'étranger, la veuve, l'orphelin, la lutte contre la pauvreté), etc. Voir Pentatheuque.


Tout homme, de quelque origine qu'il soit, peut rejoindre le peuple juif par naturalisation (plutôt que par "conversion"), en reconnaissant le Souverain et en entrant dans son Alliance-contrat, donc les juifs ne forment pas une ethnie. Nous sommes d'ailleurs probablement majoritairement descendants d'étrangers "naturalisés juifs" plutôt que d'hébreux d'origine.


Il faut dire aussi que la Terre d'Israël n'est pas une "terre-mère", une "mère-patrie"; la terre-mère des Hébreux, c'est l'Egypte. Ceux-ci sont un peuple adulte et émancipé, une nation douée d'une constitution, AVANT de conquérir leur Promise, la terre-femme de Canaan. C'est le cas aussi des Juifs d'aujourd'hui qui existaient en tant que peuple longtemps avant la création de leur Etat. C'est pour cette raison qu'ils ont pu survivre en exil, sans territoire propre, installés dans l'Etat portable produit par les institutions et lois talmudiques.


Pour les nations païennes antiques, la terre est terre-mère, elles sont "autochtones", nées du sol, produites par la nature qui les domine et les soumet au déterminisme de sa loi. Le peuple vit en symbiose avec sa terre, nourrisson accroché à son sein, et disparaitra si celle-ci lui est retirée.
Le problème est que politiquement parlant, l'Etat-Nation moderne a largement gardé cette même identité païenne. Son territoire est une mère-patrie, sa matrice aux sillons abreuvés unit tous les citoyens - quelque soit leur ethnie d'origine - par le droit du sol, en un seul peuple "enfant de la patrie", et en une même égalité. Le problème aussi est que ce peuple détient la souveraineté; deux rois ne peuvent partager une même couronne, il ne peut donc y avoir deux peuples dans un seul Etat-Nation: il est impossible d'être Juif ou Arabe en France ou ailleurs, au sens national et politique du terme. Le Juif ou l'Arabe sont sommés de devenir des membres du Peuple Français, de la Nation Française, des "français musulmans" ou des "français israélites". Pas la moindre tolérance pour quelque nation étrangère sur le sol de l'Etat. Pas question de donner les mêmes droits à l'étranger - en tant que tel - et au citoyen - contrairement au commandement biblique. Les Droits de l'Homme, c'est pour le citoyen!


Nous pouvons déjà dire: qu'est-ce que l'Etat juif? C'est l'Etat où l'étranger est chez lui en tant qu'étranger.


En exil pendant des siècles et sous l'Ancien Régime, les Juifs ont vécus dans des communautés qui jouissaient d'une autonomie juridique entière, et d'une quasi-autonomie politique en tant que vassaux reconnus du roi étranger. Toutes les communautés juives du monde vivaient cette même situation extra-territoriale, et étaient administrées selon la même législation talmudique. Ils étaient des étrangers discriminés, certes, mais reconnus en tant que Nation, pourvu de lettres patentes,  et tolérés sur le sol du royaume, entre deux expulsions parfois, il est vrai.


L'Etat-Nation inventé par la révolution française et promu par Napoléon a détruit cet équilibre. L'identité nationale juive a alors éclaté entre religion "israélite" et nationalisme politique sioniste. Puis l'Etat-total hitlérien a complété cette destruction spirituelle par une destruction physique.


L'Etat d'Israël, construit en imitation du modèle de l'Etat-Nation européen par des Juifs assimilés qui avaient perdu le sens de leur propre identité, a reproduit le problème qui lui a donné le jour: tout comme la Révolution a "donné tout aux juifs en tant que citoyens et rien en tant que Nation", l'Etat d'Israël donne tout - en principe - aux "arabes israéliens" en tant que citoyens égaux, mais rien en tant que collectif national.
Les Arabes d'Israël ressentent aujourd'hui ce que les Juifs européens ressentaient jadis: ils n'ont pas de place dans l'Etat où ils vivent, leur peuple n'y est pas reconnu.
Mais les Arabes-palestiniens israéliens ne sont pas des étrangers immigrés comme les maghrébins en France ou les timides juifs de diaspora. Ils se considèrent comme les propriétaires authentiques de la terre et ne se laisseront pas soumettre encore longtemps...


Le problème supplémentaire est que la nature de l'identité juive interdit la fusion des peuples juif et palestinien en une seule nation israélienne, sur le modèle à la française. Les Palestiniens d'Israël non plus ne voudraient pas disparaître au sein d'un hypothétique "peuple israélien".
Mais la nature de l'Etat-Nation démocratique interdit la coexistence de deux peuples sur un même territoire! Le peuple majoritaire - les juifs - craint tout le temps de perdre le pouvoir et fait tout pour empêcher la minorité "ethnique" de se renforcer. C'est le fameux "problème démographique" qui conduit à une discrimination dans les faits, malgré l'égalité sur le papier. Il ne faut pas y voir - malgré les apparences parfois - une discrimination raciste délibérée: c'est une discrimination POLITIQUE, qui est inévitable dans le sytème de l'Etat-Nation démocratique et territorial du peuple juif, malgré toute la bonne volonté des juifs israéliens eux-mêmes.
Lorsque j'explique à des Arabes-palestiniens "de l'intérieur" (comme ils se nomment eux-mêmes) que, certes, les citoyens français d'origine arabe ne sont pas discriminés (quoique...), mais que les "petits beurres" nés en France ne savent plus parler arabe, et ne connaissent pratiquement rien à leur religion, ils sont très choqués. Les arabes israéliens jouissent d'une autonomie éducative, culturelle et religieuse entière en Israël, et la négation de l'identité culturo-nationale arabe et musulmane qui règne en France leur apparaît comme un crime et une humiliation bien plus grave que ce qu'ils vivent en Israël: essentiellement un blocage relatif de leur promotion au sein de l'élite politique et économique de l'Etat, avec ses conséquences au niveau local.
Cette situation est moralement inacceptable et dangereuse à terme. Mais ce n'est pas du nazisme, il ne faut pas tout confondre même si certains en ont très envie!
Même Lieberman, le ministre de Netanyahou qui est démonisé en France comme fasciste d'extrême droite et "Le Pen israélien", ne peut être dit raciste; il n'a jamais eu l'intention qu'on lui prête d'expulser les arabes israéliens. Il souhaite une solution de type balkanique (peut-être l'influence de ses origines Moldaves): modifier le tracé de la frontière pour que des villages arabes de Galilée soient rattachés au futur Etat palestinien, ce qui repousserait pour un temps - sans le résoudre - le "problème démographique".


Quant à la situation intenable des Palestiniens dans les territoires contrôlés par l'armée israélienne à la suite de la guerre des six jours, c'est du provisoire improvisé qui dure depuis 1967 et qui pourrit de plus en plus. Le statut de ces territoires est la résultante de l'impossibilité pour Israël de les annexer sans devenir un Etat binational, ni de s'en défaire au profit d'un Etat palestinien qui refuse de naître, ni de s'en désinteresser à cause des attaques menées contre ses civils depuis leur base. Cette situation de non-droit et de vide politique a été rapidement comblée par des implantations juives et des milices armées palestiniennes. La situation est explosive, les colons israéliens se retranchent pour tenir le terrain. C'est une guerre larvée, cela n'a rien à voir avec l'Apartheid! N'oublions pas qu'il n'y avait ni mur, ni barrages, ni routes de contournement avant l'intifada.


Le fait que l'identité juive n'ait toujours pas trouvé son expression politique est le fond du problème. Grâce à elle, si l'on peut dire, se révèle l'intolérance radicale de l'Etat Nation - même démocratique - envers l'Etranger. Là où comme en France citoyenneté et nationalité se confondent, où l'identité nationale des minorités n'est pas reconnue, le problème reste occulté.
Dans le cadre de l'Etat Nation à la française qu'est Israël, l'identité juive se fait identité ethnico-religieuse, ce qu'elle n'est pas en réalité. La démocratie israélienne - comme celle d'autres pays à minorités autochtones importantes - a pris forme de démocratie ethnique: il y a rupture entre nationalité et citoyenneté, et la démocratie est amenée à avantager la majorité nationale au détriment des minorités nationales.


Quelle solution alors?
J'en suis arrivé à élaborer une solution politique originale. C'était inévitable: à problème unique, solution unique.


La solution des "deux Etats" ne résoudra pas le problème interne d'Israël Etat-juif et des Arabes de l'intérieur appelé "israéliens", c'est-à-dire "juifs" selon le sens véritable du nom "Israël".
Et puis les deux populations sont aujourd'hui beaucoup trop intriquées et interdépendantes pour survivre à une opération de séparation chirurgicale. D'ailleurs les Palestiniens, par la voix du Hamas, ont dit non à cette solution. 
Quant à l'Etat palestinien, s'il n'est pas rattaché à Israël d'une façon ou d'une autre, il ne sera jamais plus qu'un Bantoustan invivable. Et puis a-t-on jamais vu un mouvement nationaliste être prêt à partager sa patrie? Il est impossible que le futur Etat palestinien ne devienne à terme la base d'une reconquête du reste de la Palestine. C'est déjà le cas de la Bande de Gaza! Et Israël ne pourra que renforcer l'enfermement explosif des territoires...


La solution à un seul Etat est également impossible puisque aucun des deux peuples ne veut disparaître pour en former un troisième.
Impossibles à séparer, et impossibles à fusionner, c'est l'équation qui n'a pour solution qu'une alliance dans le respect de l'identité de chacun.


Le fait que les deux souverainetés nationales-territoriales israélienne et palestinienne aient leur légitimité et s'excluent mutuellement montre la voie: il faut que les deux peuples renoncent réciproquement à leurarabHebJer souveraineté territoriale respective au profit d'un souverain commun supra-national.
Nous aurons ainsi une sorte particulière de fédération à trois Etats: deux Etats-Nation indépendants mais non souverains sur le territoire, coiffés par un Etat fédéral territorial, pure expression de la souveraineté du droit, qui traitera des affaires communes aux deux peuples. Il sera fondé sur une constitution qui garantira l'indépendance et l'autonomie de chaque peuple et interdira à chacun des peuples de dominer l'autre. Chaque citoyen s'engagera personnellement à la respecter et jouira d'une double citoyenneté, nationale et fédérale.

Ainsi sera neutralisé le poison du nationalisme.
Chacune des deux nations aura son parlement qui légifèrera sur ses citoyens à titre personnel et non territorial. Ceux-ci pourront en principe habiter où ils veulent sans provoquer de problème démographique puisqu'ils ne voteront que pour leur propre gouvernement. L'administration devra être très décentralisée, sur la base d'une démocratie communautaire accordant une large autonomie aux collectivités locales. Celles-ci pourront choisir de maintenir un statu-quo de caractère national ou religieux, ou de permettre un développement mixte. En fait, la réalité sociologique sur le terrain est déjà bien proche de cela.


Les parlements nationaux et communautés ethniques (Druzes, Circassiens, Chrétiens arabes, etc.) enverront des délégués au parlement fédéral sur une base paritaire. Les délégués de chaque peuple seront choisis par les deux parlements conjointement (ou directement par tous les citoyens de la fédération) afin que des hommes soucieux de l'intérêt général, sachant s'élever au-dessus des intérêts nationaux étroits, soient choisis.
Le rôle de ce parlement non-national sera de veiller à un partage équitable des terres, des ressources naturelles du territoire et de ses infrastructures communes, ainsi que d'assurer la défense des frontières extérieures. Il gèrera les domaines communs: réseaux de transports et d'énergie, environnement, aménagement du territoire. Il devra limiter les disparités économiques et sociales entre les deux peuples. Il n'y aura de propriété de la terre que privée.
Toute loi fédérale acceptée d'abord par les deux parlements nationaux sera automatiquement paraphée par le parlement fédéral commun. En cas de désaccord, celui-ci tranchera selon une majorité qualifiée.


Les forces de défense de la fédération devraient idéalement être composées de soldats des deux peuples. Des soldats arabes, bédouins et druzes, servent déjà présentement dans Tsahal. Mais aujourd'hui la situation sécuritaire n'est pas symétrique: étant donné qu'Israël est entouré de pays arabes et que les Palestiniens d'Israël se disent solidaires de leurs frères arabes en premier lieu, la direction de l'armée devrait rester dans un premier temps aux mains des Juifs. Lorsque traités de paix et alliances militaires seront établis entre la fédération israélo-palestinienne et les pays arabes et musulmans, il n'y aura plus d'obstacle à ce que la direction de l'armée et des services de sécurité devienne elle-aussi paritaire.


Cette solution peut être mise en œuvre dès maintenant à l'intérieur de l'Etat d'Israël actuel, avec les Arabes israéliens. Lorsque j'ai découvert que des juristes palestiniens d'Israël sont eux-aussi arrivés indépendamment à pratiquement la même conclusion, je n'ai plus eu le moindre doute sur sa validité (voir la proposition de l'association Adalah). Il est probable que les Juifs feront plus de problèmes, croyant qu'ils ont plus à perdre...
Le rattachement de l'Autorité palestinienne ne devrait pas présenter trop de problèmes. La réussite de la fédération et les avantages considérables qu'elle apportera à ses citoyens devrait finir par isoler les extrémistes islamistes et venir à bout de l'opposition du Hamas.


Etant donné que le détestable problème démographique aura disparu, le droit au retour des réfugiés palestiniens et leurs descendants pourra être appliqué tout comme la loi du retour israélienne l'est pour les Juifs. Chaque nouvel immigrant devra s'engager à respecter la constitution qui défend l'indépendance de chaque nationalité. Celui qui ne reconnait pas le droit de l'autre n'aura pas sa place: pas de tolérance envers les intolérants!
Cet apport de population ne fera alors que renforcer le pays, contrairement à la situation actuelle où chacun craint les progrès de l'autre.


Les conflits éventuels entre les nationalités seront un problème interne à la fédération, et donc pris en charge par la police et les tribunaux fédéraux. En parallèle existeront des polices nationales et municipales qui assureront l'ordre de chaque groupe en lui-même et par lui-même.


La parité arabe/juive devrait garantir l'application du principe de réciprocité, fondement de la justice: ne fait point à autrui ce que tu détestes pour toi-même. C'est là toute la Torah selon le grand Hillel!

OldArabJewJérusalem jouira d'un statut spécial comme capitale fédérale, et l'on pourra alors dire: "La Tora sortira de Sion et la parole de l'Eternel de Jérusalem".
Nous aurons alors peut-être le privilège de voir se réaliser la prophétie selon laquelle toutes les Nations monteront à Jérusalem pour étudier son exemple de paix et de justice.


De fait, cette nécessaire solution politique fédérale peut être interprétée en termes religieux communs aux Enfants d'Abraham. C'est ce terreau et cet idéal commun qui la rendra possible et lui fournira l'énergie nécessaire: le souverain supranational n'est autre par nature que le Souverain du Monde révéré par les trois religions monothéistes.
La fédération des nations n'est rien d'autre qu'un nouveau visage de l'Alliance, à l'image du régime politique des tribus hébreues fédérées sous Moïse, et des tribus arabes sous Mahomet. Cette alliance des peuples d'Israël-Palestine peut être comprise comme un début de réalisation de la souveraineté du Souverain du monde, ribono shel olam, rab al alamin. Rien n'interdira que cette alliance des tribus monothéistes ne s'étende ensuite au reste des nations du monde. C'est le but que désirent chacun des trois enfants d'Abraham, chacun jaloux d'être celui qui va l'atteindre en premier.
Mais voilà, le conflit et sa solution à Jérusalem nous disent qu'ils devront l'atteindre ensemble, en faisant place chacun l'un à l'autre
.
En seront-ils capables? Ce pourrait être leur Jugement Dernier...








Jérusalem est duelle. L'unité est au-delà, à construire ensemble

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