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16 octobre 2009

Adam, de Nature à Culture

Voilà l'année commence, et avec elle le cycle de lecture de la Torah qui s'ouvre sur la Genèse et la création de l'homme .
Que dit le discours scientifique des origines de l'homme?
Je reprend ici le fil de ma "Façon de voir" - une ébauche de philosophie de la création - déclinée dans deux posts précédents : Un Créateur non-existant et Emergence créatrice.

Nous avons commencé par affirmer le fait d'une création du monde, et d'une "non-existence" du créateur, au sens où il ne fait pas partie du monde créé. "Il est le lieu du monde, mais le monde n'est pas son lieu" (Mishna, Pirke Avot).
Puis nous avons interprété le processus de création comme processus d'émergence: de façon réitérée, une
petite partie des éléments d'un système s'unissent pour former des éléments spécialisés au sein d'un système d'ordre de complexité supérieure qui s'en constitue. Du radicalement nouveau apparaît; "le tout est le plus que la somme des parties".
Guidant cette émergence, nous avons repéré un principe d'élection novatrice, à la fois unifiant et différentiateur. Ou en termes traditionnels: Le Créateur (émergence), Dieu personnel (élection), Dieu d'amour (unification) et de justice (différenciation) et principe d'Alliance.
Suivant les diverses étapes de l'émergence créatrice, nous sommes arrivés à la conclusion qu'elle pointe irrésistiblement vers la création de l'humanité fédérée, à la fois unifiée et riche de la diversité de ses peuples et cultures. Maintenant nous allons examiner de plus près comment se produit cette émergence de l'humanité.




Vers sapiens
La paléoanthropologie décrit l'apparition en Afrique tropicale de plusieurs espèces d'hominidés, tels que lesPrimate_skull_series australopithèques, à partir d'un ancêtre commun avec les primates, il y a environ dix millions d'années. Puis il y a deux millions et demi d'années apparaissent les premiers Homo: Homo habilis, puis Homo erectus. Le premier fossile d'Homo sapiens, trouvé en Ethiopie, est daté de deux cent mille ans.

Il n'est pas difficile de repérer dans cette série une évolution temporelle nettement orientée: chaque étape se caractérise par l'augmentation progressive de la taille du cerveau, la marche plus nettement bipède et l'utilisation d'outils de plus en plus sophistiqués.
Cette orientation claire dans le sens d'une encéphalisation croissante avait amené un Teilhard de Chardin à des conclusions dont je me sens proche (simplement je lis "messianique" là où il écrit "christique"...)


 A lire pour approfondir!



Nous aurions tort de ne voir dans l'augmentation de la capacité de la boîte crânienne qu'une donnée quantitative. Il ne faut pas perdre de vue que le tissu cérébral se caractérise plus que tout autre par une structure systémique "en gigogne" productrice de propriétés émergentes. Un réseau de neurones acquiert des capacités de calcul ou de reconnaissance de formes qui ne sont pas présentes au niveau des simples neurones individuels. Des réseaux se regroupent en réseaux d'ordre supérieur; ils sont structurés en noyaux intereliés et en couches superposées qui intègrent l'activité des couches inférieures et modifient leur activité en boucles auto-régulées complexes. Finalement c'est tout l'encéphale qui intègre l'ensemble de ses sous-systèmes en une seule unité.
EvolutionOfManLe cerveau est par sa structure propre la meilleure illustration de la systémique.


Le risque d'une involution ne peut toutefois être écarté...

L'augmentation du volume cérébral ne fait que traduire une complexification croissante accompagnée de propriétés émergentes inédites: production d'outils, art, langage, conscience...

Là encore nous voyons à l'oeuvre les mêmes grands principes que nous avions repéré dans toute la création: apparition de niveaux de complexité croissante dans le sens de la flèche du temps, réduction du nombre des élus, jusqu'à une seule espèce sapiens; augmentation des degrés de liberté par rapport à l'environnement; et un autre principe que nous n'avons pas mentionné précédemment, mais tout aussi général: "l'accélération de l'histoire" si l'on peut dire, chaque buisson_humainétape de complexification étant plus courte que la précédente de façon exponentielle.











La Nature ou l'outil ?
Mais comment s'est faite cette évolution africaine des hominidés vers le genre Homo, puis sa sortie d'Afrique qui a permis sa conquête de toute la planète?

Selon l' "East side story" d'Yves Coppens, l'ouverture de la vallée du Rift il y a
dix millions d'années sépare les préhominidés en deux populations qui évoluent en primates à l'ouest et hominidés dans la savane à l'est, en isolat génétique. Par adaptation à un réchauffement climatique, Homo mange plus de viande, son cerveau devient plus gros, la savane favorise la posture verticale et la spécialisation de la main.


 A lire!

Mais cette thèse qui fait part belle au déterminisme environnemental a été infirmée depuis la découverte de fossiles à l’ouest du Rif, dans la forêt tropicale. C'est là qu'ont été trouvés les plus anciens fossiles d'hominidés, vieux de 6-7 millions années.
La suprématie incontestée d’Homo habilis dans le nouvel environnement qu’il s’est donné explique que la plupart des fossiles ait été trouvée dans l’Est africain. Ceux de l’Ouest seront nécessairement moins nombreux, témoignant des débuts discrets, au sein de la forêt primitive, de l’évolution d’un petit groupe d’hominidés.

Si ce n’est pas le passage de la forêt à la savane qui est la cause évolutive, Comment l'expliquer?

Il faut envisager une autre explication. Or, sur les ruines de la théorie d'Yves Coppens rien n'a vraiment poussé depuis.
Je pense que l’outil lui-même peut être cette cause : Les grands singes utilisent à l’occasion des pierres ou brindilles comme outils. Nous pouvons imaginer qu’un groupe d’hominidés particulièrement doués outilsSilexdans l’utilisation d’outils et relativement isolés ait joui d’un avantage évolutif décisif qui a poussé leur évolution dans le sens d’une spécialisation de plus en plus poussée. L’utilisation d’outils de plus en plus fréquente par les membres antérieurs aurait conduit progressivement à la locomotion bipède, les mains étant occupées, et l’habitat dans les arbres serait alors devenu difficile. Les outils, alors, auraient aussi fourni la protection nécessaire pour remplacer celle des arbres, désormais perdue dans la vie au sol : ils se sont révélés des armes efficaces contre les fauves et la protection des arbres s’est faite inutile et même nuisible, puisqu’il faut abandonner l’outil pour pouvoir retourner dans les arbres.
L'outil de pierre est également un substitut de dents carnassières. Il permet à un être à la frêle constitution de frugivore de tuer et dépecer de gros animaux. L'outil peut donc aussi expliquer le passage à un régime omnivore à dominance carnée chez les préhumains. 
La fabrication d’un abri ou d’un enclos de branches et de feuilles est une autre forme d’outil, un substitut d’arbre, projection de la peau de l’homme plutôt que de sa main, qui traduit physiquement la création par l’homme d’un nouvel environnement.
La descente de l’arbre permise par l’outil, déjà au cœur de la forêt, s'avère irréversible : la spécialisation du corps provoquée par la production et l’utilisation d’outils est incompatible avec la vie dans les arbres. C’est ce qui donne au personnage de Tarzan sa valeur mythique. Mais lorsque
Tarzan, l’homme civilisé qui retourne à la forêt, réintègre la forêt des origines, il retourne dans les arbres, comme les chimpanzés, comme si il n’y avait pas d’autre solution. C’est la possibilité de la vie sur le sol de la forêt, illustrée par la civilisation pygmée, qu’avaient éliminé d’un même élan Tarzan et le mythe scientifique du passage à la Savane.tarzan2 


L’outil ouvre un accès définitif et permanent à un tout autre environnement, une autre niche évolutive, et ce en un même lieu géographique : le sol de la forêt.
Cette niche est plus culturelle déjà qu'écologique au sens habituel. Elle permet cependant de produire l'isolat nécessaire à l'apparition d'une espèce biologique nouvelle comme l'exige la génétique des populations.


Le réchauffement climatique peut avoir ensuite révélé et renforcé une "exaptation" (adaptation préalable, qui s'avère utile dans un nouveau contexte), l'utilisation d'outils, selon un processus maintes fois illustré dans la version moderne de la théorie de l'évolution.
Le passage à la savane, vers l’espace ouvert et ses nouveaux horizons, ne serait pas la cause, mais bien la conséquence de l’évolution biologico-technique entamée dans la forêt.


S'il ne l'a pas fait évoluer, par contre il est très plausible que le climat extrêmement sec ait poussé l'homme moderne hors d'Afrique.

Ce ne serait donc pas la Nature, selon le schéma environnemental, qui serait la Mère de l’Homme, mais l’Outil, la Technique et la Civilisation. Il s'agit d’une réelle révolution de nos conceptions, qui voyait l’homme semblables aux autres animaux en ce que son espèce serait apparue par la sélection et l’évolution produites par adaptation à un milieu nouveau. La théorie classique de l’évolution provoquée par le réchauffement du climat et l’isolement par la fracture syro-africaine répond au besoin de respecter un déterminisme scientifique darwinien simpliste : climatologie et géologie orientent l’évolution biologique. Il nous faut admettre que le cas de l’homme est différent, et que sa capacité à transformer son environnement, à échapper au dictat de la nature, est la cause même de son évolution biologique : la station debout, la main au pouce opposable, le développement du cortex sont le produit de l’outil, comme l’outil est leur produit, en une boucle rétroactive co-évolutive qui voit le corps de l’homme et son comportement culturel, technico-social, progresser conjointement.
Mais les moutures les plus récentes de la théorie de l'évolution reconnaissent que tout organisme modifie le milieu qui l'entoure et qui lui est de toute façon relatif; une boucle rétroactive s'installe entre organisme et environnement, il n'y a plus de place dans la théorie pour un simple déterminisme, une forme de liberté dynamique apparaît, qui croît un peu plus à chaque palier.
L'homme se fait lui-même. En un difficile combat contre et pour lui-même. Là est sa liberté.




Le cas du langage s'inscrit dans ce nouveau paradigme: son développement  est probablement lié a celui des outils. Dans les deux cas il s'agit de “se servir de”; une distance s'installe entre le sujet et la nature, produite par un intermédiaire : l'outil, le symbole.
Le langage permet la formation de groupes sociaux plus importants et mieux structurés, lesquels poussent l'évolution du langage vers plus de complexité. Là encore nous voyons apparaître une boucle de rétroaction positive entre langage et social. La science moderne ne fonctionne pas autrement: une nouvelle découverte permet d'élaborer de nouveaux outils expérimentaux, lesquels conduisent à de nouvelles découvertes, et ainsi de suite...

Les fouilles menées en Israël ont mis à jour un phénomène remarquable: les deux Homos sapiens et neandertalensis y ont produit les mêmes outils. Cela veut dire que tout en étant différents morphologiquement, ils ont partagé la même culture.
Quel beau premier signe de l'indépendance de l'esprit vis-à-vis de son support matériel!



Dans le cas des êtres humains, il nous faut considérer qu'ils forment un nouveau niveau de complexité, le niveau culturel, qui soustrait le niveau biologique sous-jascent à la pression de sélection.
C'est un phénomène général: les cellules d'un organisme ne sont pas en compétition entre elles. Au contraire, elles coopèrent et sont protégées de l'environnement par l'homéostasie du milieu intérieur. L'igloo des Esquimaux et les fourrures dont ils se revêtent les soustraient largement à la sélection environnementale, même dans les conditions extrêmes dans lesquelles ils vivent. C'est par contre la qualité de la construction de leurs igloos et de la confection de leurs habits qui est sélectionnée.


Avec l'homme la création est passée au niveau culturel, l'invention du nouveau et sa sélection selon la Loi de Vie sont désormais culturels et sociaux. La compétition est désormais entre sociétés, économique et militaire. C'est ce qu'on appelle l'Histoire.
De ce point de vue, l'erreur de l'East side story n'est pas une simple inexactitude, mais une véritable faute épistémologique.


Des travaux assez récents d'évolutionnistes qui s'intéressent à l'organisation sociale ont montré que l'avantage procuré par la cohésion sociale favorise l'émergence de comportements altruistes et la protection des faibles. En effet, un groupe d'individus bien coordonnés seront plus efficaces qu'une horde de brutes beaucoup plus puissantes individuellement, mais aux efforts dispersés.
Une évolution éthique apparaît ainsi, indissociable de l'évolution culturelle et sociale.


C'est un de ces groupes d'hommes modernes, solidaire et bien organisé, plus audacieux que d'autres, qui a franchi en premier le Rubicon de la sortie d'Afrique.
La Terre d'Israël l'a accueilli à sa sortie, lui ouvrant le monde. Le voyage de cet oleh préhistorique vers la liberté ne faisait que commencer...

15 octobre 2009

Sorties d'Afrique, Sortie d'Egypte

Il y a encore quelques années, deux théories se disputaient l'explication des origines de l'homme moderne : la théorie de la sortie d’Afrique disant que sapiens est apparu en Afrique et en est sorti il y a environ cent mille ans pour se disperser dans le monde entier, la théorie multirégionale affirmant qu'il s’est développé dans différentes régions du globe de façon séparée, mais en parallèle, à partir d’Homo erectus, lui-même sorti d’Afrique deux millions d'années plus tôt. Entre-temps il aurait pu s'hybrider avec l'homme de Néanderthal.

Origines régionales ou Out of Africa ?
Face à l'accumulation des données fossiles et génétiques, l'hypothèse multirégionale de l'apparition de l'homme s'est retirée devant celle nommée "
Out of Africa". La plupart des anthropologues sont maintenant d'accord pour dire que notre espèce, Homo sapiens, tout comme son aînée erectus, sont sortis d'Afrique. Cela signifie que nous appartenons tous à une seule et unique espèce, partageons les mêmes ancêtres. Voilà qui rend plus difficile de fonder scientifiquement le racisme. Surtout quand ils s'avèrent africains, et probablement noirs de surcroit!
L'analyse récente d'ADN fossile a montré que Néanderthal est par contre une espèce distincte de l'homme moderne et confirme la théorie de sa sortie d'Afrique.
sortieErectusAfrique

Mais par où est-il passé?


Pour ce qui est de la sortie la plus ancienne, celle d'habilis, tout le monde est d'accord pour dire qu'elle est passée par le Sinaï.
En effet, c'est en Israël, la première terre que l'homme découvre après la traversée du pont Sinaï-Neguev,Out_of_Africa que nous trouvons les plus anciens fossiles hors d'Afrique: une des dernières découvertes est celle du prof. Tshernov, paléontologue de l'université hébraïque, qui a trouvé des outils d'Homo habilis datant de deux millions d'années dans la vallée de Jourdain, près du kibbutz Gesher. C'est le premier signe de sortie d'Afrique, un demi-million d'années avant celle de l'homme du site de Tel Obeida, trouvé à quelques kilomètres, un million d'années avant son arrivée en Europe.

Mais qu'elle route sapiens a-t-il suivi? Là encore deux hypothèses ont été proposées, celles de deux routes possibles: du littoral ou du Nord. La route du Sud suppose de traverser la Mer Rouge et ses récifs au détroit du Bab El Mandeb entre Djibouti et Yémen; la route du Nord suppose d'affronter le désert du Sinaï, mais à sec en contournant la mer. Dans les deux cas il faut traverser une barrière naturelle difficilement franchissable.
La découverte d'un campement d'Homo sapiens archaïques vieux de 125000 ans sur les côtes de l'Erythrée, au bord de la Mer Rouge, avait suggéré la route littorale.
Mais voilà, tout comme son prédécesseur, l'Homo sapiens moderne le plus ancien trouvé hors d'Afrique, - 100 000 ans, a lui aussi été exhumé en Israël, à Qafzeh entres autres, près de Nazareth.


qafzeh9rsideFinalement les fossiles ont tranché: ceux de la côte arabe se sont révélés plus récents que ceux de la vallée du Jourdain, de Galilée et du Carmel. On pense qu'ils seraient les témoins d'une troisième sortie d'Afrique que des marqueurs génétiques relieraient aux populations de l'Asie du Sud-Est et d'Australie.
Sapiens a donc bien suivi les mêmes voies qu'habilis lors de sa sortie d'Afrique. Les plus anciens crânes sapiens retrouvés en Ethiopie (130.000 av. J.-C.) ont encore des traits archaïques, puis sapiens moderne est découvert en Israël (100.000 av. J.-C.), Australie (40.000 av. J.-C.), et finalement Europe de l'Ouest (35.000 av. J.-C.).

L'homme moderne, un "Israélien"?

Et oui, la question se pose. Selon des équipes de chercheurs franco-israéliennes, il n'est pas impossible que l'homme vraiment moderne soit en fait né au Proche-Orient, c'est-à-dire en Israël (voir cette étude du CNRS de Jérusalem), et non en Afrique. 
Le crâne de Qafzeh - photo par David Brill
Une même structure se répète lors de ces sorties : un groupe humain s'aventure hors de la matrice africaineRedSea protectrice, arrosée par les Grands Lacs et le Nil, passe courageusement le goulot étroit et périlleux du désert (alors peut-être plus humide) ou de la Mer Rouge, avant de voir s'ouvrir devant lui de nouvelles étendues fertiles. C'est bien la structure d'un accouchement.

C'est ainsi que je voudrais inscrire la dernière Sortie d'Egypte, celle des Hébreux menés par Moïse et son ouverture des eaux, dans la longue série préhistorique qui lui donne tout son poids: celle de la création d'une nouvelle humanité. Qu'a-t-elle de nouveau cette humanité; en quoi les Enfants d'Israël seraient-ils un nouvel Homo hebraicus, aboutissement de l'évolution du sapiens sorti de l'africaine Egypte ? C'est à cette question difficile et périlleuse que j'espère répondre dans les prochains posts de cette série...

18 septembre 2009

En temps de bonne année

Bonne année 5770, שנה טובה, Kul ‘am u’intum bkheir ! Que cette année nouvelle vous apporte pour vous et les vôtres bonheur, santé et tout ce que vous souhaitez.

Je vous le souhaite à tous, depuis Jérusalem, urbi et orbi, et ce quelque soit votre calendrier et temporalité respectifs.
Je le fais de tout coeur et tout fraternellement puisque nous fêterons vendredi soir l'anniversaire de la création du monde et d'Adam, notre ancêtre à tous.

(J'ai fais un résumé succint de ce post sur la radio israélienne en français: Cliquer ici)


C'est là le paradoxe dont je voudrais vous entretenir à cette occasion: Le calendrier et le nouvel an juifs ont en fait une portée universelle, alors que l'année dite "civile" - qui règne aujourd'hui quasiment sur le monde entier - renvoie à un signifiant religieux et juif.
Circoncision_Veneto_c7f3dEn effet, jusqu'en 1970 les calendriers grégoriens portaient à la date du 1er janvier la mention "Circoncision, fête de la circoncision et du Saint-Prépuce de Notre Seigneur".




Vérifiez: 25 décembre (naissance de Jésus) + huit jours (âge de la circoncision juive) = 1er janvier.
Avec nos calendriers actuels, nous voilà face à une double césure, puisque cette mention a été elle-même retranchée. Je ne sais pourquoi l'Église a décidé de couper son temps de l'"ancienne alliance"...  Quoiqu'il en soit, le temps "universel" qui domine la réalité politique et sociale mondiale, l'ère chrétienne, commence par la scission de la chair d'un bébé juif. Étrange, non? Et Jésus naît ainsi une semaine avant l'ère chrétienne!


Le premier jour du calendrier hébraïque lui, célèbre la création du monde ou - selon les opinions, à six jours près - la création d'Adam. Il inaugure le temps de l'humanité. Seul le temps hébraïque se fonde antérieurement à sa propre origine, sur celle de l'homme compris comme ancêtre de toutes les nations et civilisations. Seul, le calendrier hébraïque est déjà celui de l'humanité, il n'est pas juif. Seul, il porte en lui l'espoir d'une humanité future, une dans sa diversité, vivant en paix une temporalité commune.
Le temps, ZeMaN, de l'humanité est porteur d'une invite, haZMaNah, à la fin, à son unité.

La plupart des calendriers des autres civilisations se réfèrent à un évènement fondateur de leur propre histoire. Le temps chrétien renvoie au Christ, le temps musulman à Mahomet, le calendrier chinois commence avec l'Empereur Jaune, fondateur de la première dynastie chinoise. Le nouvel an des indiens ou vietnamiens ou des japonais est pour eux-mêmes. Ces derniers ne sont pas monothéistes, ils ne prétendent pas étendre leur temps à toute l'humanité, certes, mais chacun est enfermé, autiste, au centre de propre sa bulle temporelle.


Selon les théologiens chrétiens, la circoncision du divin enfant rend caduque la circoncision charnelle de l'ancienne Alliance et inaugure la circoncision spirituelle du coeur (Rom. II, 28), en référence à la nouvelle Alliance annoncée par Jérémie (31, 31-34).
Pour ce que j'en comprend, nous sommes supposés vivre depuis 2009 "bonnes années", dans un monde messianique et rédimé, un monde de chrétiens qui font naturellement le bien, puisque la Loi est désormais gravée sur les tables de leur coeur. Il suffit d'ouvrir un journal ou un ordinateur et d'y lire les nouvelles pour s'en rendre compte! Mais pourquoi les appeler "nouvelles" alors qu'elles répètent depuis deux mille ans leur sanglante litanie? Si c'est cela un monde sauvé, comment y aurait-il encore un espoir? 


Chrétiens expliquez-nous! Ne juge t-on pas un arbre à ses fruits, que signifie une venue du Messie non suivie d'effet? Au contraire, l'histoire n'a vu aucune civilisation aussi violente que la chrétienne! Sans doute sommes-nous nous autres juifs trop matérialistes; au diable saluts métaphysiques, théologies du péché, ils ne sont pas pour nous: nous voulons voir des effets concrets, réels, nous persistons obstinément à croire que la venue du Messie doit inaugurer un monde meilleur, un temps nouveau...
C'est pourquoi - même si je le ferai - la nuit du 31 décembre je n'aurai pas autant envie de vous souhaiter une "bonne année" qu'en ce moment.
L'autre candidat à l'universalisme est le temps de l'islam. Mais le calendrier musulman, c'est pour les musulmans!  Il suppose de reconnaître Mahomet comme l'ultime prophète, et son départ de La Mecque pour Médine, l'Hégire, comme origine du temps. Le calendrier musulman ne pourrait devenir celui de l'humanité qu'en la convertissant entièrement. Son universalité est nécessairement impérialiste, comme l'est la chrétienne. 


La mondialisation, les crises globales climatiques, écologiques et économiques, relayées par les satellites et internet, ont fait prendre conscience à tous les peuples qu'ils vivent sur une même planète; au-delà des frontières et des murs, nous sommes de plus en plus spatialement unis; temporellement toutefois, nous restons profondément déphasés.  


bigbangMais le temps universel auquel l'humanité moderne tend à adhérer n'est-il pas le temps scientifique, le temps de la physique, du big-bang et de l'évolution des espèces? Le temps du calendrier - de n'importe quel calendrier - ne fonde plus une conception du monde, il est devenu obsolète.
Je dois donc dire quelques mots de la nature du temps si nous voulons comprendre ce que veut dire le Nouvel An, Rosh Hashana.


Le temps de la science qui règne désormais sur nos esprits , c'est le temps de la physique, qui n'est autre que le temps mathématique abstrait: une dimension qui peut être représentée par une droite infinie, s'ajoutant aux trois dimensions spatiales. Cet espace-temps et tout ce qu'il contient existerait par lui-même, hors et indépendemment de toute conscience humaine.
Mais que signifie la phrase : "cette ammonite est vieille de cent-vingt millions d'années"? Qu'elle a fêté cent-vingt millions d'anniversaires avec ses amies ammonites?
Dinosaurs_3D_ScreensaverLorsque le scientifique décrit le tableau de dinosaures s'ébattant dans le paysage marécageux du Jurassique, il le fait d'un point de vue donné. Il n'y a pas de paysage sans un observateur.
Or l'homme, même défini zoologiquement comme espèce Homo, n'existait pas alors pour contempler nos dinosaures, tous sont d'accord là-dessus. Alors qui est l'observateur?
Eh bien, c'est le scientifique d'aujourd'hui en personne, qui se projette deux cent millions d'années en arrière dans un passé imaginaire.
Dans l'idéal de l'objectivité absolue, l'observateur de la science est éliminé de la description paléontologique. Mais en même temps la neurophysiologie, la physiologie des sens, nous enseignent que couleurs, formes, définition et identification des objets eux-mêmes sont construits par notre conscience. Cela est vrai du temps aussi: il n'y a pas de temps sans mémoire. Le temps est une des dimensions de l'esprit qui permet aux animaux les plus évolués et à l'homme de planifier leur action future en fonction des acquis du passé, il n'existe pas dans le monde physique. L'évolution créatrice (ou la création évolutive) a élu cette capacité, qui est beaucoup plus efficace qu'une activité réflexe.



L'univers n'a pas une "histoire". Le "grand Livre de la Nature", c'est nous qui venons de l'écrire... Il est écrit en langage mathématique, nous dit Galilée; Einstein, qui l'a si bien déchiffré, pense que "ce qu'il y a de plus incompréhensible à propos du monde est qu'il soit compréhensible"; ils ont tort de s'étonner: notre esprit analyse à l'aide de l'outil mathématique, qu'il a élaboré, le monde de la perception qu'il a lui-même construit... Leur providentielle adaptation se comprend très bien lorsqu'on a compris que le réel est en fait une interface entre l'esprit et un monde-en-soi inconnaissable.
Le scientifique qui décrit les premiers instants après le big-bang s'enfle lui-même en un observateur éternel situé hors système, hors du temps et de l'espace.
En réalité, les premières galaxies "situées à dix milliards d'années-lumière" que l'astronome observe, il les voit telles qu'elle sont en ce moment. Il n'y a d'autre
universe_originalsimultanéité pour les êtres physiques que nous sommes que celle du lien lumineux qui les relient et les rend présents les uns aux autres. Imaginer qu'en ce moment les pâles galaxies en question sont vieilles de dix milliards d'années de plus revient à se dématérialiser et se projeter hors de l'espace-temps, dans une simultanéité irréelle. Si l'on suivait jusqu'au bout la conception physique du temps, nous ne pourrions jamais être présents l'un à l'autre: la fraction de seconde nécessaire à la lumière pour nous communiquer l'image de notre interlocuteur nous séparerait à jamais de lui...


L'erreur de conception vient à mon avis de ce que nous prenons trop à la lettre la notion de vitesse de la lumière. Dans quoi et par rapport à quoi la lumière se déplacerait-elle? Toute vitesse est relative à un référentiel. La vitesse de la lumière est absolue et a donc un tout autre sens.


Le temps éternel de la science se révèle être en fait le temps d'un observateur divin: le scientifique ignorant de sa propre auto-divinisation.
C'est étrange, nous vivons en occident à la fois dans le temps social du Dieu fait homme, et dans celui, physique, de l'homme fait Dieu.
Le temps de l'homme, le temps humain réel, est le temps personnel vécu, le temps de la mémoire et le temps de la transmission de génération en génération. C'est le temps de ma vie et le temps de l'histoire. Le nouvel an juif, Rosh Hashana, nous fait réintégrer le temps de l'homme.

Mais pourquoi 5770? Il se trouve que tous les chercheurs sont d'accord pour situer l'invention de l'écriture aux environs de la première moitié du sixième millénaire en Babylonie. Or c'est l'écriture qui produit par l'accumulation irréversible des textes le temps historique.  L'histoire a commencé à Sumer avec l'écriture des premières chroniques royales des premières dynasties, et le récit de la fondation des premières villes. Le Livre de la Genèse en a le souvenir, qui mentionne la construction d'Uruk, d'Ur, et les annales babyloniennes.  Ainsi  la durée du temps historique coïncide précisément avec la datation biblique, et la Bible en est le seul vecteur mémoriel.
Mais peut-on dire que c'est là le cadre de la création du monde et de l'homme? Il nous faut comprendre ce que la Bible hébraïque appelle "homme" et appelle "monde":
L'homme est celui à qui il été dit de dominer la Création et de se dominer lui-même. Ce n'est pas le chasseur-cueilleur paléolithique ou l'idolâtre soumis et adorant la Nature et son temps cyclique.
Le monde, c'est celui dont le Créateur divin s'est retiré, un monde matériel dont la Bible dit qu'il était vide tant que la pluie n'était pas tombée et que l'homme n'avait pas fécondé la terre de son travail. C'est le monde que l'homme - image du Créateur - crée de ses propres mains.
Lcampagne_a_l_aube_357472e monde c'est d'abord mon monde. Celui dont la prière du matin rappelle qu'il est "toujours recréé chaque jour avec bonté", à mon réveil. Le sommeil est une petite mort. Le monde réel a disparu dans les nimbes du rêve. Puis la lumière surgit à l'aube de mes yeux qui s'ouvrent, les brouillards du chaos nocturne se dissipent, le sol s'affermi, je me lève.
Au réveil l'homme renaît, il est comme le nouveau-né, sans péché. Les mains purifiées, il trouve un monde neuf où tout est possible. C'est le monde réel, celui que la conscience qui m'est rendue engendre.



L'automne arrive, les dernières récoltes sont entrées dans les greniers, les comptes sont faits. Le temps est comme en suspens, nous attendons la pluie nouvelle. Va-t-elle tomber et relancer le cycle de la création, ou est-ce la fin? Chaque année est une vie en soi.


Le Zohar dit qu'au moment de mourir, l'homme voit le film de toute sa vie défiler. Le dernier instant - étrange instant non suivi d'un autre - est éternité puisqu'il n'est d'autre temps réel que celui vécu. Notre temps est limité, mais il est aussi infini.
Alors, il est des images pénibles que nous ne voulons pas voir. Ce peut être l'enfer, puisqu'il est trop tard pour réparer. Et il y a d'autres images réjouissantes, paradisiaques, qui compensent. Un jugement se fait, on ne se raconte plus d'histoire! Et une confession se fait; heureusement il y a les souffrances, leur délivrance et le pardon.

Mais avant cela il y a le cycle des fins d'années et de leur renaissances, autant de Jours du Jugement et Grands Pardons qui nous sont donnés. Autant en profiter, ne pas accumuler jusqu'à fin de vie, et s'inscrire maintenant dans le grand Livre de la Vie!



Bonne année! 

30 août 2009

Israël Etat juif?



Philippe, un visiteur du blog, m'a envoyé le message suivant :


"A propos d'israel comme Etat juif



Bonjour,

je découvre votre blog avec beaucoup d'intérêt. Je voudrais vous poser une question: je comprends bien l'importance pour les juifs, de part de le monde, de préserver le judaïsme de l'Etat d'Israël et je comprends également l'inquiétude des Israéliens devant la menace que fait peser les évolutions démographique sur cet aspect. Bien qu'étant non juif, la majorité de mes amis le sont: je sais l'importance d'Israël pour eux et je ne peux envisager un instant qu'Israël ne reste pas, ad vitam eaternam, la patrie du peuple juif.

LabyrintheDans le même temps, je me pose une question "philosophique". Comment accepter de construire un Etat fondé sur une ethnie/une religion (le judaisme a ceci de particulier que la religion et l'ethnie se confondent - ce qui est probablement pour beaucoup dans les persécutions qu'à connu ce peuple) alors même que c'est cette idée même de construire un Etat fondé sur la "pureté" ethnique qui est à l'origine de la pire barbarie dont le peuple juif a souffert? N'y a t-il pas là une contradiction fondamentale?

Je n'ai pas de réponse évidente à cette question et je serai heureux de lire votre point de vue.

Merci d'avance."



J'ai répondu longuement, mais ma réponse est restée sans suite. J'aurai pu me débarrasser de la question en quelques mots: les Juifs (écrit avec une majuscule) sont un peuple historique, et non une ethnie et/ou une religion, donc ils un droit à un Etat selon le principe du droit à l'autodétermination des peuples.


Mais il est clair que pour un Français républicain - comme pour le citoyen de tout autre Etat-Nation - les citoyens juifs de son pays sont une part intégrale de sa nation, et ne peuvent donc être compris que comme une des ethnies ou religions qui la compose, et non comme une nation à part entière. Il n'y a plus guère que des antisémites pour considérer les juifs comme un vrai peuple!
J'ai donc développé ma réponse pour apporter les éclaircissements conceptuels qui s'imposent. Je la publie ici:


Le problème vient de la nature de l'Etat-Nation
Je suis d'accord sur le fait qu'il y a contradiction entre judaïsme et Etat, mais je vois cette contradiction différemment.


Je pense d'une part que le peuple juif n'est pas un mélange d'ethnie et de religion. Ces concepts n'existent pas dans le judaïsme ou la Bible, et lui sont étrangers au fond.
Pour parler en français d'aujourd'hui, je pense qu'il serait plus juste de dire que le judaïsme est originellement une sorte de république spéciale: sa constitution est la Bible, son souverain est le Créateur du monde qui lui a donné ses lois fondamentales, son territoire est la Terre d'Israël qui appartient au "Roi des rois", mais la souveraineté de ce dernier n'est pas territoriale, elle est personnelle et s'applique aux citoyens de cette république, les membres de l'Alliance (du "contrat social" juif, en grossière approximation) où qu'ils soient sur terre, chacun personnellement.


"Dieu", le souverain de la Respublica Hebraeorum (pour reprendre l'expression consacrée par Bertram, Cunaeus, Althusius, Grotius, Selden et autres théoriciens politiques des débuts de la Réforme), est roi au sens politique aussi du terme: le judaïsme n'est pas une religion, ou pas qu'une religion. La Bible est la première à avoir séparé les pouvoirs des prêtres de celui du roi. Contrairement à ce que l'on croit généralement, les rabbins sont des laïcs, à la différence des prêtres (cohanim) qui n'ont plus de fonction depuis la destruction du temple. Elle a institué il y a 3000 ans l'idée même de citoyenneté égale devant la loi, les droits égaux pour l'étranger, la conscription nationale, l'impôt égal pour tous, la réforme agraire (partage de la terre sous Josué), la protection sociale (de l'étranger, la veuve, l'orphelin, la lutte contre la pauvreté), etc. Voir Pentatheuque.


Tout homme, de quelque origine qu'il soit, peut rejoindre le peuple juif par naturalisation (plutôt que par "conversion"), en reconnaissant le Souverain et en entrant dans son Alliance-contrat, donc les juifs ne forment pas une ethnie. Nous sommes d'ailleurs probablement majoritairement descendants d'étrangers "naturalisés juifs" plutôt que d'hébreux d'origine.


Il faut dire aussi que la Terre d'Israël n'est pas une "terre-mère", une "mère-patrie"; la terre-mère des Hébreux, c'est l'Egypte. Ceux-ci sont un peuple adulte et émancipé, une nation douée d'une constitution, AVANT de conquérir leur Promise, la terre-femme de Canaan. C'est le cas aussi des Juifs d'aujourd'hui qui existaient en tant que peuple longtemps avant la création de leur Etat. C'est pour cette raison qu'ils ont pu survivre en exil, sans territoire propre, installés dans l'Etat portable produit par les institutions et lois talmudiques.


Pour les nations païennes antiques, la terre est terre-mère, elles sont "autochtones", nées du sol, produites par la nature qui les domine et les soumet au déterminisme de sa loi. Le peuple vit en symbiose avec sa terre, nourrisson accroché à son sein, et disparaitra si celle-ci lui est retirée.
Le problème est que politiquement parlant, l'Etat-Nation moderne a largement gardé cette même identité païenne. Son territoire est une mère-patrie, sa matrice aux sillons abreuvés unit tous les citoyens - quelque soit leur ethnie d'origine - par le droit du sol, en un seul peuple "enfant de la patrie", et en une même égalité. Le problème aussi est que ce peuple détient la souveraineté; deux rois ne peuvent partager une même couronne, il ne peut donc y avoir deux peuples dans un seul Etat-Nation: il est impossible d'être Juif ou Arabe en France ou ailleurs, au sens national et politique du terme. Le Juif ou l'Arabe sont sommés de devenir des membres du Peuple Français, de la Nation Française, des "français musulmans" ou des "français israélites". Pas la moindre tolérance pour quelque nation étrangère sur le sol de l'Etat. Pas question de donner les mêmes droits à l'étranger - en tant que tel - et au citoyen - contrairement au commandement biblique. Les Droits de l'Homme, c'est pour le citoyen!


Nous pouvons déjà dire: qu'est-ce que l'Etat juif? C'est l'Etat où l'étranger est chez lui en tant qu'étranger.


En exil pendant des siècles et sous l'Ancien Régime, les Juifs ont vécus dans des communautés qui jouissaient d'une autonomie juridique entière, et d'une quasi-autonomie politique en tant que vassaux reconnus du roi étranger. Toutes les communautés juives du monde vivaient cette même situation extra-territoriale, et étaient administrées selon la même législation talmudique. Ils étaient des étrangers discriminés, certes, mais reconnus en tant que Nation, pourvu de lettres patentes,  et tolérés sur le sol du royaume, entre deux expulsions parfois, il est vrai.


L'Etat-Nation inventé par la révolution française et promu par Napoléon a détruit cet équilibre. L'identité nationale juive a alors éclaté entre religion "israélite" et nationalisme politique sioniste. Puis l'Etat-total hitlérien a complété cette destruction spirituelle par une destruction physique.


L'Etat d'Israël, construit en imitation du modèle de l'Etat-Nation européen par des Juifs assimilés qui avaient perdu le sens de leur propre identité, a reproduit le problème qui lui a donné le jour: tout comme la Révolution a "donné tout aux juifs en tant que citoyens et rien en tant que Nation", l'Etat d'Israël donne tout - en principe - aux "arabes israéliens" en tant que citoyens égaux, mais rien en tant que collectif national.
Les Arabes d'Israël ressentent aujourd'hui ce que les Juifs européens ressentaient jadis: ils n'ont pas de place dans l'Etat où ils vivent, leur peuple n'y est pas reconnu.
Mais les Arabes-palestiniens israéliens ne sont pas des étrangers immigrés comme les maghrébins en France ou les timides juifs de diaspora. Ils se considèrent comme les propriétaires authentiques de la terre et ne se laisseront pas soumettre encore longtemps...


Le problème supplémentaire est que la nature de l'identité juive interdit la fusion des peuples juif et palestinien en une seule nation israélienne, sur le modèle à la française. Les Palestiniens d'Israël non plus ne voudraient pas disparaître au sein d'un hypothétique "peuple israélien".
Mais la nature de l'Etat-Nation démocratique interdit la coexistence de deux peuples sur un même territoire! Le peuple majoritaire - les juifs - craint tout le temps de perdre le pouvoir et fait tout pour empêcher la minorité "ethnique" de se renforcer. C'est le fameux "problème démographique" qui conduit à une discrimination dans les faits, malgré l'égalité sur le papier. Il ne faut pas y voir - malgré les apparences parfois - une discrimination raciste délibérée: c'est une discrimination POLITIQUE, qui est inévitable dans le sytème de l'Etat-Nation démocratique et territorial du peuple juif, malgré toute la bonne volonté des juifs israéliens eux-mêmes.
Lorsque j'explique à des Arabes-palestiniens "de l'intérieur" (comme ils se nomment eux-mêmes) que, certes, les citoyens français d'origine arabe ne sont pas discriminés (quoique...), mais que les "petits beurres" nés en France ne savent plus parler arabe, et ne connaissent pratiquement rien à leur religion, ils sont très choqués. Les arabes israéliens jouissent d'une autonomie éducative, culturelle et religieuse entière en Israël, et la négation de l'identité culturo-nationale arabe et musulmane qui règne en France leur apparaît comme un crime et une humiliation bien plus grave que ce qu'ils vivent en Israël: essentiellement un blocage relatif de leur promotion au sein de l'élite politique et économique de l'Etat, avec ses conséquences au niveau local.
Cette situation est moralement inacceptable et dangereuse à terme. Mais ce n'est pas du nazisme, il ne faut pas tout confondre même si certains en ont très envie!
Même Lieberman, le ministre de Netanyahou qui est démonisé en France comme fasciste d'extrême droite et "Le Pen israélien", ne peut être dit raciste; il n'a jamais eu l'intention qu'on lui prête d'expulser les arabes israéliens. Il souhaite une solution de type balkanique (peut-être l'influence de ses origines Moldaves): modifier le tracé de la frontière pour que des villages arabes de Galilée soient rattachés au futur Etat palestinien, ce qui repousserait pour un temps - sans le résoudre - le "problème démographique".


Quant à la situation intenable des Palestiniens dans les territoires contrôlés par l'armée israélienne à la suite de la guerre des six jours, c'est du provisoire improvisé qui dure depuis 1967 et qui pourrit de plus en plus. Le statut de ces territoires est la résultante de l'impossibilité pour Israël de les annexer sans devenir un Etat binational, ni de s'en défaire au profit d'un Etat palestinien qui refuse de naître, ni de s'en désinteresser à cause des attaques menées contre ses civils depuis leur base. Cette situation de non-droit et de vide politique a été rapidement comblée par des implantations juives et des milices armées palestiniennes. La situation est explosive, les colons israéliens se retranchent pour tenir le terrain. C'est une guerre larvée, cela n'a rien à voir avec l'Apartheid! N'oublions pas qu'il n'y avait ni mur, ni barrages, ni routes de contournement avant l'intifada.


Le fait que l'identité juive n'ait toujours pas trouvé son expression politique est le fond du problème. Grâce à elle, si l'on peut dire, se révèle l'intolérance radicale de l'Etat Nation - même démocratique - envers l'Etranger. Là où comme en France citoyenneté et nationalité se confondent, où l'identité nationale des minorités n'est pas reconnue, le problème reste occulté.
Dans le cadre de l'Etat Nation à la française qu'est Israël, l'identité juive se fait identité ethnico-religieuse, ce qu'elle n'est pas en réalité. La démocratie israélienne - comme celle d'autres pays à minorités autochtones importantes - a pris forme de démocratie ethnique: il y a rupture entre nationalité et citoyenneté, et la démocratie est amenée à avantager la majorité nationale au détriment des minorités nationales.


Quelle solution alors?
J'en suis arrivé à élaborer une solution politique originale. C'était inévitable: à problème unique, solution unique.


La solution des "deux Etats" ne résoudra pas le problème interne d'Israël Etat-juif et des Arabes de l'intérieur appelé "israéliens", c'est-à-dire "juifs" selon le sens véritable du nom "Israël".
Et puis les deux populations sont aujourd'hui beaucoup trop intriquées et interdépendantes pour survivre à une opération de séparation chirurgicale. D'ailleurs les Palestiniens, par la voix du Hamas, ont dit non à cette solution. 
Quant à l'Etat palestinien, s'il n'est pas rattaché à Israël d'une façon ou d'une autre, il ne sera jamais plus qu'un Bantoustan invivable. Et puis a-t-on jamais vu un mouvement nationaliste être prêt à partager sa patrie? Il est impossible que le futur Etat palestinien ne devienne à terme la base d'une reconquête du reste de la Palestine. C'est déjà le cas de la Bande de Gaza! Et Israël ne pourra que renforcer l'enfermement explosif des territoires...


La solution à un seul Etat est également impossible puisque aucun des deux peuples ne veut disparaître pour en former un troisième.
Impossibles à séparer, et impossibles à fusionner, c'est l'équation qui n'a pour solution qu'une alliance dans le respect de l'identité de chacun.


Le fait que les deux souverainetés nationales-territoriales israélienne et palestinienne aient leur légitimité et s'excluent mutuellement montre la voie: il faut que les deux peuples renoncent réciproquement à leurarabHebJer souveraineté territoriale respective au profit d'un souverain commun supra-national.
Nous aurons ainsi une sorte particulière de fédération à trois Etats: deux Etats-Nation indépendants mais non souverains sur le territoire, coiffés par un Etat fédéral territorial, pure expression de la souveraineté du droit, qui traitera des affaires communes aux deux peuples. Il sera fondé sur une constitution qui garantira l'indépendance et l'autonomie de chaque peuple et interdira à chacun des peuples de dominer l'autre. Chaque citoyen s'engagera personnellement à la respecter et jouira d'une double citoyenneté, nationale et fédérale.

Ainsi sera neutralisé le poison du nationalisme.
Chacune des deux nations aura son parlement qui légifèrera sur ses citoyens à titre personnel et non territorial. Ceux-ci pourront en principe habiter où ils veulent sans provoquer de problème démographique puisqu'ils ne voteront que pour leur propre gouvernement. L'administration devra être très décentralisée, sur la base d'une démocratie communautaire accordant une large autonomie aux collectivités locales. Celles-ci pourront choisir de maintenir un statu-quo de caractère national ou religieux, ou de permettre un développement mixte. En fait, la réalité sociologique sur le terrain est déjà bien proche de cela.


Les parlements nationaux et communautés ethniques (Druzes, Circassiens, Chrétiens arabes, etc.) enverront des délégués au parlement fédéral sur une base paritaire. Les délégués de chaque peuple seront choisis par les deux parlements conjointement (ou directement par tous les citoyens de la fédération) afin que des hommes soucieux de l'intérêt général, sachant s'élever au-dessus des intérêts nationaux étroits, soient choisis.
Le rôle de ce parlement non-national sera de veiller à un partage équitable des terres, des ressources naturelles du territoire et de ses infrastructures communes, ainsi que d'assurer la défense des frontières extérieures. Il gèrera les domaines communs: réseaux de transports et d'énergie, environnement, aménagement du territoire. Il devra limiter les disparités économiques et sociales entre les deux peuples. Il n'y aura de propriété de la terre que privée.
Toute loi fédérale acceptée d'abord par les deux parlements nationaux sera automatiquement paraphée par le parlement fédéral commun. En cas de désaccord, celui-ci tranchera selon une majorité qualifiée.


Les forces de défense de la fédération devraient idéalement être composées de soldats des deux peuples. Des soldats arabes, bédouins et druzes, servent déjà présentement dans Tsahal. Mais aujourd'hui la situation sécuritaire n'est pas symétrique: étant donné qu'Israël est entouré de pays arabes et que les Palestiniens d'Israël se disent solidaires de leurs frères arabes en premier lieu, la direction de l'armée devrait rester dans un premier temps aux mains des Juifs. Lorsque traités de paix et alliances militaires seront établis entre la fédération israélo-palestinienne et les pays arabes et musulmans, il n'y aura plus d'obstacle à ce que la direction de l'armée et des services de sécurité devienne elle-aussi paritaire.


Cette solution peut être mise en œuvre dès maintenant à l'intérieur de l'Etat d'Israël actuel, avec les Arabes israéliens. Lorsque j'ai découvert que des juristes palestiniens d'Israël sont eux-aussi arrivés indépendamment à pratiquement la même conclusion, je n'ai plus eu le moindre doute sur sa validité (voir la proposition de l'association Adalah). Il est probable que les Juifs feront plus de problèmes, croyant qu'ils ont plus à perdre...
Le rattachement de l'Autorité palestinienne ne devrait pas présenter trop de problèmes. La réussite de la fédération et les avantages considérables qu'elle apportera à ses citoyens devrait finir par isoler les extrémistes islamistes et venir à bout de l'opposition du Hamas.


Etant donné que le détestable problème démographique aura disparu, le droit au retour des réfugiés palestiniens et leurs descendants pourra être appliqué tout comme la loi du retour israélienne l'est pour les Juifs. Chaque nouvel immigrant devra s'engager à respecter la constitution qui défend l'indépendance de chaque nationalité. Celui qui ne reconnait pas le droit de l'autre n'aura pas sa place: pas de tolérance envers les intolérants!
Cet apport de population ne fera alors que renforcer le pays, contrairement à la situation actuelle où chacun craint les progrès de l'autre.


Les conflits éventuels entre les nationalités seront un problème interne à la fédération, et donc pris en charge par la police et les tribunaux fédéraux. En parallèle existeront des polices nationales et municipales qui assureront l'ordre de chaque groupe en lui-même et par lui-même.


La parité arabe/juive devrait garantir l'application du principe de réciprocité, fondement de la justice: ne fait point à autrui ce que tu détestes pour toi-même. C'est là toute la Torah selon le grand Hillel!

OldArabJewJérusalem jouira d'un statut spécial comme capitale fédérale, et l'on pourra alors dire: "La Tora sortira de Sion et la parole de l'Eternel de Jérusalem".
Nous aurons alors peut-être le privilège de voir se réaliser la prophétie selon laquelle toutes les Nations monteront à Jérusalem pour étudier son exemple de paix et de justice.


De fait, cette nécessaire solution politique fédérale peut être interprétée en termes religieux communs aux Enfants d'Abraham. C'est ce terreau et cet idéal commun qui la rendra possible et lui fournira l'énergie nécessaire: le souverain supranational n'est autre par nature que le Souverain du Monde révéré par les trois religions monothéistes.
La fédération des nations n'est rien d'autre qu'un nouveau visage de l'Alliance, à l'image du régime politique des tribus hébreues fédérées sous Moïse, et des tribus arabes sous Mahomet. Cette alliance des peuples d'Israël-Palestine peut être comprise comme un début de réalisation de la souveraineté du Souverain du monde, ribono shel olam, rab al alamin. Rien n'interdira que cette alliance des tribus monothéistes ne s'étende ensuite au reste des nations du monde. C'est le but que désirent chacun des trois enfants d'Abraham, chacun jaloux d'être celui qui va l'atteindre en premier.
Mais voilà, le conflit et sa solution à Jérusalem nous disent qu'ils devront l'atteindre ensemble, en faisant place chacun l'un à l'autre
.
En seront-ils capables? Ce pourrait être leur Jugement Dernier...







6 mai 2008

Emergence créatrice

Nous avons vu que pour un scientifique l'idée de création et, à la limite celle d'un Dieu Créateur "situé" au-delà de l'univers et "non-existant" physiquement, peut se défendre. Mais que ce démiurge intervienne directement dans l'histoire, et de plus s'y révèle de façon qu'on puisse qualifier de personnelle comme il le fait dans la Bible, voilà qui est beaucoup plus indigeste. Peut être cela sera-t-il moins étonnant en examinant de plus près la façon dont il procède...
La vision scientifique du monde décrit la complexification progressive de la matière, depuis les quarks et les particules élémentaires jusqu’à l’homme et les sociétés humaines. Comment se fait cette construction, degré après degré?


Apparemment elle se fait d’elle-même, chaque niveau de complexité engendrant les suivants par intégration, au fur et à mesure du refroidissement de l’univers. Dans le monde vivant, Darwin l’a expliqué par l’action des forces immanentes du hasard et de la sélection naturelle.


Pourtant là-aussi la simple causalité physique est mise à mal; un phénomène étrange apparaît lors du passage d'un niveau de complexité au suivant: comme surgies d'on ne sait où apparaissent des propriétés nouvelles, non déductibles de celles des éléments constitutifs inférieurs, qui font que le "tout est plus que la somme de ses parties".


Ne sachant qu'en faire, on parle de propriétés "émergentes", comme si elles préexistaient en quelque tréfonds caché et en sortaient soudain.
Par exemple: tout ce que nous savons des particules "élémentaires" ne nous permet pas d'en déduire le comportement de l'atome qu'elles constituent. Il y beaucoup de surprises en découvrant l'atome; il présente des propriétés dans ses relations à d'autres atomes ou à la lumière qui ne sont pas exprimables en termes de physique de particules. C'est un autre monde.
On peut essayer après-coup, connaissant l'atome en termes de physique atomique, d'analyser ses propriétés en fonction de celles des particules et des forces qui le composent. On peut le faire "de haut en bas" par analyse depuis l'atome, mais si on veut faire le contraire, procéder par synthèse de bas en haut, on se heurte à la complexité des calculs. Décrire même l'atome le plus simple par ses particules dépasse la capacité des plus gros ordinateurs. Alors des atomes plus gros, des molécules, c'est tout simplement impossible!


La solution: on cache pudiquement le système qui dépasse notre entendement derrière un concept et l'on invente une terminologie ad hoc pour décrire ses nouvelles propriétés. C'est ce qui fait qu'à chaque niveau apparaît une nouvelle science, laquelle a beaucoup de mal à communiquer avec ses consoeurs… Si tel n'était pas le cas, on devrait pouvoir expliquer la psychologie par les propriétés des quarks!
Ce principe de contournement de la complexité est typique des mathématiques et c'est ce qui fait leur puissance: un ensemble, avec ses éléments et leurs relations peut être désigné d'une simple lettre, pouvant ainsi être manié comme un simple élément dans un système d'ordre supérieur, auquel on ajoute des relations supplémentaires. En théorie des nombres, l'infini une fois nommé, désigné par "" peut être aisément manié et entrer dans une arithmétique de l'infini qu'il serait impossible d'envisager autrement.


L'approche réductrice, poussée à l'extrême, devient absurde. Un-tel dira par exemple que l'amour vient des hormones. Il ne voit pas qu'une hormone est en fait une forme de message chimique dans un organisme biologique coiffé d'un cerveau, qui sont ensemble le support "matériel" des émotions et des pensées d'un esprit unique. C'est aussi stupide que de dire qu'un livre n'est rien d'autre que du papier et de l'encre…


490px_Frans_Hals___Portret_van_Ren_C3_A9_Descartes













La notion d'émergence contredit donc le réductionnisme de Descartes: il n'est pas possible de comprendre tous les phénomènes en les réduisant systématiquement à leurs composantes plus simples.


René Descartes. Portrait by Frans Hals, 1648












Récemment, Robert Laughlin, prix Nobel de physique, est allé jusqu'à suggérer que le principe d'émergence est à l'origine des lois de l'univers et non le contraire. Il n'y aurait donc pas de loi fondamentale à rechercher dans l'infiniment petit puisque chaque loi serait une propriété émergente des lois à l'échelle inférieure.


Maintenant jetons un coup d'œil sur l'ensemble des différents niveaux de complexité et leur émergence l'un de l'autre, comme le fait Joël de Rosnay dans son "Macroscope".


Quarks et gluons forment les particules élémentaires. Déjà, lorsque trois quarks s'assemblent, ils forment un proton dont les propriétés ne sont pas présentes dans les quarks pris individuellement.
Puis les particules s'assemblent en atomes, les atomes en molécules, macromolécules, virus, organites, cellules, végétaux et animaux primitifs pluricellulaires, animaux supérieurs, sociétés animales, homme, sociétés humaines… A chaque étage se produit un saut de complexité quand un système devient simple élément du système d'ordre supérieur, pour former ce que nous pouvons appeler une structure gigogne. Le quantitatif se mue en qualitatif, caractérisé par des propriétés nouvelles: au monde de la synthèse atomique au sein des étoiles succède celui de la chimie minérale des poussières, astéroïdes et planètes, puis celui de la chimie organique prébiotique, suivie du vivant, puis de l'humain avec la conscience et le langage.


Voyons s'il est possible de dégager des principes généraux qui transcendent les échelles et les niveaux de complexité.
On ne peut nier que ce regard du point de vue de la complexité dessine un sens:


Tout d'abord le plus simple apparaît aussi comme le plus ancien, le plus complexe est le plus récent. Même si une image détaillée laisse apparemment beaucoup de place à une errance indécise, les sauts de la complexité-gigogne sont aussi des sauts dans le temps sur une ligne passé-futur.


Une autre caractéristique constante au-delà des changements d'échelle: chaque niveau plus complexe est aussi quantitativement plus réduit. Dans l'univers, la matière condensée en atomes ne représente qu'un centième de toute la matière, le reste étant à l'état de plasma particulaire; les atomes qui font partie de molécules sont eux-aussi "un petit reste d'élus" d'entre tous les atomes; ceux qui ensuite entrent dans la structure des molécules complexes, les composés organiques, ne sont que six principalement: C O H N S P, et les molécules organiques ne sont qu'une partie infime du monde chimique. Et ainsi de suite, la matière vivante n'est qu'"un petit reste" animé parmi des masses de matière organique trouvée sur terre et diverses planètes, les virus sont bien plus nombreux (50 millions par ml d'eau de mer) que les bactéries, celle-ci que les flagellés… jusqu'à quelques grands primates et une unique espèce humaine.


Cette loi de l'élection du petit nombre de créatures plus complexes se retrouve à tous les niveaux. Elle est associée avec le principe d'unification complexifiante qui est au cœur de l'émergence elle-même.


L'univers entier lui-même, à en croire la cosmologie moderne, n'est que la trace qui subsiste d'un cataclysme inimaginable: au big bang a été créée une quantité semblable de matière et d'antimatière; puis ces dernières se sont annihilées mutuellement, et seule une très légère dissymétrie dans cette annihilation a fait qu'un résidu de matière d'environ un milliardième ait subsisté – notre univers - tel le rideau de fumée après une explosion.


Un principe électeur d'"unification complexifiante", voilà qui semble un peu paradoxal. Unification – car il y a regroupement de plusieurs éléments au sein d'un seul système. Complexifiante – car les éléments regroupés ne perdent pas leur spécificité. Bien au contraire, leur relation avec les autres et leur participation complémentaire à la construction de l'ensemble global accentuent encore plus leur individualité. Chaque TIEPOLOJACOBDREAMélément contribue au tout, mais le tout a aussi un effet en feed back renforçant le caractère irremplaçable de chaque partie.


Tiepolo - Le rêve de Jacob - 1726-29 Palazzo Patriarcale, Udine


Les niveaux de complexité forment comme une "échelle de Jacob" où montent et descendent les anges en une boucle rétroactive.
Cela se voit clairement si l'on compare les cellules différenciées d'un animal pluricellulaire à l'unique cellule des protozoaires qui doit assurer toute les fonctions de l'organisme; même différence entre l'homme d'une société à division poussée du travail et les chasseurs-cueilleurs polyvalents d'une tribu primitive.


En hébreu cela tient en une racine: YH’D, qui donne à la fois "ensemble" (YaH’aD) et "unique" (YaH’iD), racine proche de 'eH’aD, "un". En français, de la même façon, nous pourrions parler d'"union des uniques".


Un autre trait traverse tous les niveaux: plus l'être est complexe, plus il possède de degrés de liberté. Son monde intérieur devient plus stable et plus autonome; le grand nombre des sous-systèmes fonctionne comme une redondance d'information qui rend le système intérieurement robuste et plus indépendant des influences de son environnement. Ses relations avec ses semblables et le monde s'enrichissent au point qu'il transforme de plus en plus le milieu qui l'entoure. Il en prend une "connaissance" plus étendue. Il tend vers la liberté.
La conscience humaine, la culture, n'apparaissent pas un accident lorsqu'on suit pas à pas la montée des êtres vers elles. C'est en ce sens que la Kabbale classe les créatures en quatre ordres successifs: minéral, végétal, animal, parlant.


Ce principe qui créé du nouveau en rassemblant, en conférant plus d'individualité et de liberté et en créant de nouvelles lois, me paraît ressembler de plus en plus au Dieu de la Bible. Dieu-Un, Dieu d'Amour et de Justice. Dieu personnel en ce sens qu'il confère de la personnalité et paraît donc se soucier de chaque créature en particulier.


Quant à la notion biblique de création, son étymologie la fait paraître étonnamment proche de la notion d'émergence et de sélection naturelle; la racine BR', créer, former, être gros, est proche des racines BR: extérieur, pur, clair; BRR:sélectionner, mettre à part, éclaircir, certain; BRH: guérir, restaurer, nourrir;  BRIT, alliance, traité.



Nous avons vu que la montée en complexité oriente la flèche du temps. Alors pourquoi ne pas la prolonger et essayer d'extrapoler pour voir où cela nous mène?


Cela nous mène à un niveau de complexité nouveau qui émerge avec ses propres lois, là où la création continue en ce moment-même à s'inventer dans un bouillonnement évènementiel : Histoire de l'homme.
Les humains se regroupent d'abord en familles, hordes, puis clans; les clans en tribus; les tribus en ethnies ou peuples. Des ethnies ou des Etats peuvent se fédérer. Les Etats fédéraux semblent avoir l'avantage sur les Etats monolithiques. Ces derniers s'épuisent à maintenir leur uniformité, alors que les premiers peuvent s'enrichir de leur diversité et former plus facilement des ensembles vastes et puissants...


C'est là où nous sommes arrivés.


Et plus loin? Il ne reste qu'une possibilité: l'unification complexifiante des peuples engendrera l'Humanité Une et fédérée dans toute sa diversité.
C'est ce qu'avaient vu les prophètes d'Israël:


Alors Je rendrai limpide la langue des peuples pour qu'ils appellent tous YHWH de son nom et qu'ils le servent d'un même effort (Sophonie 3, 9, ma traduction).


YHWH sera alors Roi sur toute la terre, en ce jour YHWH sera Un et son nom sera Un (Zacharie 14, 9, ma traduction).


C'est comme si en grimpant à l'échelle de Jacob de la complexité on arrivait à "sa tête qui touche le ciel" et rejoignait la prophétie...


CHILDJACOBDREAM
Comment l’”unification complexifiante” de l’humanité va-t-elle se faire?


L'échelle de Jacob - Enfant de huit ans - Hongrie


Le “principe électeur” entrera-t-il là-aussi en action? Voyez-vous à présent où je veux en venir?
La suite au prochain numéro!

Jérusalem est duelle. L'unité est au-delà, à construire ensemble

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