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21 septembre 2009

Blocus des esprits




3 tishri 5770 (A la suite du post précédent, je dois montrer l'exemple!)
Le journal Haaretz a publié cette veille de Rosh Hashana un article sur "l'appauvrissement culturel en Israël" (en hébreu). Des intellectuels et écrivains israéliens y font notre examen de conscience: crise des valeurs et ignorance s'imposent dans l'éducation et la vie publique.
La paralysie des esprits qu'ils ont analysé a beaucoup à voir avec celle de la situation politique. Cela m'a inspiré le commentaire suivant:
Le conflit israélo-palestinien a pour origine le lien unique dans son genre qu'entretient le peuple juif avec sa terre. Ce n'est pas tous les jours qu'un peuple revient d'exil après deux millénaires et trouve sa terre "occupée" par un autre! Ou inversement, vu depuis l'autre côté, il n'est pas fréquent qu'un peuple qui veut faire valoir ses droits à l'autodétermination soit contraint de constater qu'un autre peuple les a déjà obtenus à sa place... Une solution créative originale doit donc être construite à partir d'une compréhension en profondeur du judaïsme.
Comme je l'ai expliqué précédemment, il faut imaginer un cadre supranational qui permette aux deux peuples de vivre indépendants sur le même territoire.
prop_sionismLe mouvement sioniste, qui a créé l'Etat, est par définition nationaliste. Ce qu'il faut imaginer dès maintenant demande un dépassement du nationalisme classique du 19e siècle. C'est un tournant à 180 degrés très difficile à prendre, difficile à proposer sans se faire traiter d'"antisioniste". Les difficultés qu'a l'Europe à se constituer en cadre politique réellement supra-étatique - la fédération - illustrent bien le problème.
L'abandon du trésor des textes rabbiniques aux mains de l'orthodoxie bloque l'accès à une fécondation du présent israélien par le passé juif. Les orthodoxes, qui entretiennent et connaissent en profondeur l'héritage de la Tradition, sont coupés de la réalité politique qu'ils ne font que subir ou tout au plus aménager pour défendre leurs intérêts, tout en attendant un salut surnaturel. Ils ne reconnaissent l'Etat sioniste que de facto, sans rien avoir d'autre à proposer.
Les israéliens laïques, traditionalistes ou sionistes religieux sont impliqués  dans la vie de l'Etat mais le judaïsme reste pour eux une religion, donc sans pertinence politique ou philosophique.
Telle est à mon avis la principale raison de la stérilité du débat politique et public dans mon pays.
La droite nationaliste, laïque ou religieuse, s'accroche au sionisme classique, tente de gagner du temps, d'empêcher la création d'un Etat palestinien. Elle n'a rien à proposer à la place:  maintien impossible d'une autonomie palestinienne sous contrôle de Tsahal; laisser à d'autres qui n'en veulent pas la solution du problème: rattachement des Palestiniens à la Jordanie et l'Egypte... Et en attendant le spectre de leur demande de rattachement à Israël avec obtention de la citoyenneté israélienne, lui, court toujours.
L'admiration imitative et servile de "l'occident" qui règne sur l'élite politique, académique et économique d'Israël, l'absence d'esprit critique quant au modèle européen des droits de l'homme et de l'Etat-Nation démocratique, conduisent beaucoup d'Israéliens de gauche et du centre à l'auto-dénégation. Ils ne tiennent pas compte de notre situation sans précédent ni de son historique; ils portent un jugement moral et moraliste sur "l'occupation" - qui témoigne certes d'un sens élevé de la justice - mais les empêche d'identifier les vrais problèmes. Ils se trouvent pour la même raison dans l'impossibilité d'imaginer la solution créative nécessaire.
Ceux parmi eux qui ont vraiment pris leurs distances d'avec l'ancien sionisme se définissent comme post-sionistes. Ils ont une approche humaniste universaliste, mais pas de proposition politique concrète. Leur idéal se perd en un moralisme éthéré sans conséquence.
Etant donné que le cadre politique classique n'offre que la solution impraticable des "deux Etats", les découragés de l'activisme politique - la grande majorité - fuient dans la vie de l'instant: Sois cool, spontané, profite du moment! Ou bien ils se réfugient dans le travail et sombrent vite dans le workaolisme...
Et puisque l'horizon ici est bouché, que l'idéal humaniste est réalisé là-bas au paradis des "démocraties éclairées occidentales", pourquoi rester ici? L'autre forme d'escapisme consiste tout simplement à quitter le pays, si possible après avoir obtenu un passeport... polonais ou allemand!
Quant aux juifs de la Diaspora,  ils se partagent aussi pour la plupart entre ces trois tendances politiques cloisonnées: sionisme classique à coloration religio-nationaliste, orthodoxes qui attendent le Messie, humanistes plus ou moins athées, plus ou moins assimilés à leur concitoyens. 
Une quantité extraordinaire d'énergie se perd en activisme déplacé, en escapisme épicurien, en étude acharnée d'un judaïsme en conserve.
Une floraison de cercles d'étude et de réflexion - encore très minoritaires - cherchent une voie. Dès qu'elle trouvera une alternative valable ouverte devant elle, soyez-en sûr, toute cette énergie s'y engouffrera en un torrent irrésistible.

22 décembre 2008

Identité nationale

Voilà bien longtemps que je n'ai alimenté mon blog. J'ai du mal à trouver le temps pour, il a fallu un article qui me fasse sortir de mes gonds pour cela!


Sur le site juif.org je suis tombé sur cet article "Identité nationale" auquel je me suis senti obligé de répondre.


Voilà qui m'a donné l'occasion de préciser ma position! Lisez donc tout d'abord cet article pour comprendre la réponse qui suit:
Il y a là un exposé très réussi de l'idéologie nationaliste et fasciste classique!
Alexis Carrel, le collabo de Vichy, Ernest Renan, un des fondateurs du racisme scientifique, Soljenitsyne dont le nationalisme s'accompagne d'un antisémitisme notoire, Hippolyte Taine l'inspitateur de Drumont ("La France Juive"), telles sont les références du nationalisme que vous préconisez pour Israël!
Et ce n'est pas par hasard: leur nationalisme, celui malheureusement de certains juifs égarés, est purement néo-païen: fusion idolâtre avec la terre-mère Patrie, naturalisme biologique, sacré immanent "dans" la société, enseignement de l'Histoire et propagande politique au seul service de la Nation, érection de la Nation comme seul critère politique ou moral…
Votre nationalisme est l'antithèse parfaite de la façon dont la tradition juive se comprend elle-même: les Hébreux ne sont pas un peuple "naturel". Ils se sont fait peuple en Egypte, au sein d'un autre peuple, leur existence nationale débute après que la terre a été partagée entre les nations. C'est pourquoi les Enfants d'Israël doivent justifier leur existence "nationale" – non pas par "la continuité physique et spirituelle" ou son appartenance à la terre des ancêtres de "l'humus humain" – mais par le respect du Droit et de la Justice, par l'établissement d'une société qui défend le faible du fort. L'existence nationale n'est que le moyen de réaliser ce but moral, elle n'est jamais pour la Torah un but en soi. Au contraire, le Shema fait dépendre la résidence sur la Terre d'Israël du respect de la Torah; l'Exil est compris comme la sanction réparatrice de son non respect.



Non, le converti au Judaïsme ne doit pas "s'assimiler" et assimiler la langue ou les mœurs du Peuple Juif selon le Judaïsme; il doit reconnaître la souveraineté du Souverain du Monde et accepter le joug de sa Loi. C'est ainsi que se définit le Peuple Juif dans sa tradition.



Je trouve dramatique et désolant que le nationalisme ethniciste et raciste du 19e siècle soit devenu l'idéologie identitaire de nombreux Juifs francophones et religieux d'Israël. J'essaie de comprendre ce phénomène sociologique. Est-ce une réaction mimétique face au lepénisme ? Il me semble plutôt que leur rejet fondamental de l'assimilation offerte par le pôle le plus républicain de l'identité française, celui des Droits de l'Homme, égalitaire et citoyen, les pousse vers son pôle le plus vichyste et maurassien du "Travail , Famille, Patrie" de "nos Ancêtres les Gaulois". Le sursaut identitaire qui a motivé leur alyah s'est aussi accompagné d'une phobie de "l'islamisation de la France" qui pousse dans le même sens…



Dommage, car cela empêche l'accès à ce qui est pour moi l'authentique identité juive, celle, mosaïque, du peuple des citoyens, le Peuple de l'Alliance et du Livre, qui a tant inspiré Rousseau. (Voir à ce propos cette excellente conférenceJean_Jacques_Rousseau sur Akadem)
Jean-Jacques Rousseau par Quentin de la Tour, 1753



Paradoxalement, le peuple qui "n'est pas fait comme les Nations de la terre, les Familles du sol" est universel dans sa particularité non païenne : son Roi est Souverain du Monde, et pour cette raison son regroupement actuel sur la Terre d'Israël depuis les quatre coins du monde peut lui aussi être interprété dans un sens universel : comme une "Sortie des Nations" qui annonce la formation de l'humanité pacifiée future.
Inversement, l'"identité nationale" telle que proposée par "Vision d'Israël" en fait un peuple païen "comme les autres", des autres qui en fait ne sont plus tels pour la plupart.



C'est l'avenir d'Israël qui est en jeu ici, entre ouverture universaliste ou repli identitaire archaïque, nationaliste et néo-paganiste.

13 mai 2008

Indépendants, vraiment?

Je n'ai pas voulu nous gâcher la joie des festivités de la Fête de l'Indépendance avec des commentaires critiques. Quelques jours ont passé. Nos beaux drapeaux bleu-blanc "made in China" généreusement offerts par "Bank Hapoalim" flottent encore aux fenêtres des maisons et voitures; nous avons joyeusement tapé sur la tête de nos concitoyens avec les fameux marteaux en plastic; nous nous sommes goinfrés de bonnes israel60brochettes cuites sur le fameux mangal, notre barbecue national; nous nous sommes tordu le cou à admirer les acrobaties aériennes de  nos valeureux pilotes et avons presque oublié notre honte d'avoir tant de dirigeants en procès ou en prison pour corruption...
C'est vrai, c'est vrai, nous faisons une overdose d'autocritique et d'examens de conscience perpétuels. Mais tout de même je ne peux m'empêcher de poser la question: Sommes-nous vraiment indépendants?




Bien sûr, aujourd'hui aucun Etat n'est vraiment indépendant. La mondialisation et la domination économico-politico-militaire des grandes puissances et des cartels limitent cruellement la souveraineté des petits Etats comme Israël. Ce n'est pas de l'Etat qu'il s'agit.
Ma question est: le nationalisme israélien est-il une expression positive de l'autodétermination du Peuple Juif, ou seulement une réaction de défense contre ses ennemis? Puise-t-il dans son "âme nationale" ses propres fins, ou se contente-t-il de perpétuer un sionisme de réaction ou d’imitation?

C'est l'ambiance morose du Soixantenaire, les discours officiels qui sentent le réchauffé, le ronron médiatique, le cynisme désabusé de la jeunesse israélienne et mon propre manque d'enthousiasme qui me poussent à poser la question maintenant.

Un documentaire en particulier m'a frappé. Il s'appelle "Totseret Jyd" ou: "De fabrication juive", en reprenant le terme méprisant pour "juif" en Polonais. Je le trouve très significatif, et en même temps il raconte une extraordinaire histoire vraie qui mérite d'être rapportée. Il est passé sur la deuxième chaîne de la télévision israélienne à la veille du "Jour de la Shoa missileet de l'Héroïsme", soit une semaine avant le Jour de l'Indépendance. Il porte sur un gros contrat de vente d'armes et transfert technologique  signé en 2003 entre Israël et la Pologne.
La compagnie israélienne Rafael Armements a developpé un missile anti-tank sophistiqué, qui est produit sous sa licence dans les ateliers de l'usine polonaise Mesco.


Le missile de "Rafael" *
Il se trouve que l’ingénieur israélien chargé de la direction du projet - lui-même né en Pologne - est fils de rescapés. Lorsqu'il raconte à ses parents ce qu'il fait, ceux-ci, qui n'avaient jamais beaucoup parlé de la période de la guerre, lui demandent où se trouve l'usine polonaise.  Lorsqu'il leur dit "près de Skarzysko-Kamienna", ils sont sous le choc.  C'est le camp de travail forcé où ils étaient prisonniers! Ils commencent alors à lui expliquer.


Les nazis avaient réquisitionné l'usine polonaise pour le consortium allemand HASAG (Hugo Schneider Aktiengesellschaft) qui avait fait de la production de munitions un enfer pour des milliers de prisonniers juifs.
L'aile "C" des usines était particulièrement redoutée: on y fabriquait des mines sous-marines utilisant un explosif à base d'acide picrique très toxique. Les ouvriers-esclaves devenaient jaunes, leurs organes intérieurs étaient dévorés par la "picrine" et ne survivaient pas plus de trois mois. Un train amenait continuellement des "chargements" de main d'oeuvre fraîche directement à l'intérieur du camp. Ironie du sort? C'est là que les Polonais installent les lignes de production de Rafael!

Le directeur de l'usine, le Dr. Arthur Rost, n'aimait pas gaspiller les munitions. Les prisonniers à exécuter  étaient chargés en camion et emmenés sur un champ de tir pour servir de cible dans le test des munitions.


Un extrait en hébreu


Le journaliste Hayim Hecht, auteur du film, interviewe une survivante:
- ils savaient où on les emmenait?
- bien sûr qu'ils savaient ce qui allait leur arriver!
Et de citer la formule allemande alors bien connue apparemment:
- vernichtung durch arbeit (anéantissement par le travail).


Hecht affiche un sourire triomphant avec la fierté du vendeur à l'étalage qui vente son produit :
- mais cette fois, les Juifs ne sont plus les cibles vivantes, ils sont les invités d’honneur!
L'image glisse en fondu du charnier nazi au spécialiste israélien qui ajuste le tir "du meilleur missile anti-tank au monde". La "production jid" est appréciée maintenant!




Ce documentaire me met maintenant franchement mal à l'aise. Il alterne lourdement les images: champ de tir d'alors, champ de tir aujourd'hui, qui dominait alors, qui domine aujourd'hui... Il ne faudrait pas grand chose pour en faire un film de propagande antisémite qui montre comment les Juifs, pleins d'un esprit vengeur, deviennent parmis les plus gros marchands de canons du monde... S'il est légitime et sain de se réjouir de ce que nous ayons enfin les moyens de nous défendre, cette joie s'exprime trop souvent ici comme un grossier retournement, lequel participe de la même adoration de la force que celle des bourreaux, et du même mépris envers la faiblesse des victimes. Pour preuve la façon lamentable dont les survivants des camps sont traités en Israël.




"Plus jamais ça" - proclament les discours de commémoration de la Shoa. Grâce à sa puissance militaire et sa supériorité technologique Israël ne laissera plus les Juifs être des victimes sans défense.  C'est sa principale raison d'être si on écoute le patriotisme bleu-blanc primaire qui continue à sévir... et Ahmedinejad qui a bien compris que c'est le point faible de la cuirasse israélienne.
Le jour même de l'émission plus de dix missiles "Kassam" tombaient sur la ville de Sderot. Le même Ahmedinejad continue à menacer le pays d'un nouveau vernichtung... en langue perse!
Pas très convainquant comme raison d'être.


Inversion du rapport de force. Mimétisme de conflit. Revanche sur le passé. Ce n'est pas ça l'indépendance. Bien au contraire, le désir sans cesse exprimé de "normalisation" par toute une élite intellectuelle et politique du pays, qui veut désespérément voir les Juifs devenir enfin un peuple "normal, comme les autres", témoigne de la colonisation intérieure des esprits.



Soixante ans après, le rassemblement des exilés, la démocratie, l'économie prospère, l'armée puissante et les avancées scientifico-techniques d'Israël signent indéniablement la réussite du mouvement sioniste. Mais s'il ne veut pas s'épuiser comme une autre révolution réussie qui a fait son temps - le kibboutz - le sionisme va devoir puiser aux sources dormantes mais vives, fraîches et profondes des prophètes d'Israël.


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