4 mai 2008

Un Créateur non-existant

Je vais essayer de résumer en une série de messages pas trop longs ma conception du monde.


A mon avis, la première question métaphysique est "le monde a-t-il été créé ou non?" La question classique: "pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien?" vient ensuite. En effet, cette question admet implicitement le caractère contingent de l'être, donc la possibilité de la création. Sans création, l'être du monde est absolu, sans cause "extérieure". Plus de méta-physique possible. Sans création, la question de savoir pourquoi il n'y a pas rien devient oiseuse: s'il n'y avait rien, nous ne serions pas là pour poser la question. Avec la création la question devient beaucoup plus intéressante: "pourquoi y a-t-il quelque chose devient "pourquoi le Créateur a-t-il créé le monde?" "La création a-t-elle une finalité?"


Est-il possible de trancher rationnellement cette question? La physique nous permet-elle d'y répondre?


Jan_Matejko_Astronomer_Copernicus_Conversation_with_God


Jan Matejko: Copernic - Conversation avec Dieu


La possibilité – dans l'hypothèse d'une absence de création – que le monde soit immuable n'est pas soutenable: La cosmologie moderne, en particulier avec la théorie de "big bang", décrit le cosmos se développant par expansion à partir d'une singularité physiquement indescriptible : il est clair aujourd'hui que rien dans l'univers n'existe de façon immuable et de toute éternité; l'équivalence einsteinienne entre matière et énergie volatilise le caractère tangible de la première pour en faire un concentré de pures radiations; les quatre grandes forces , les deux qui modèlent le cosmos - gravité et électromagnétisme - et les deux autres qui structurent l'atome - interaction forte et interaction faible - apparaissent bifurquer à partir d'une seule force unique au moment du big-bang, ce qui semble désigner du doigt un "Créateur" mystérieux; d'autant plus mystérieux que le fameux "mur de Planck" de la physique quantique rend l'origine théoriquement inconnaissable et inatteignable, repoussant irrémédiablement l'instant zéro au-delà de notre horizon.


La deuxième possibilité – toujours dans l'hypothèse d'une absence de création – est d'inscrire toute évolution du cosmos dans un processus cyclique. C'est ce que fait le physicien qui veut éviter la notion de création ou la confrontation avec un dieu des philosophes, "causes des causes" qui semble pointer son nez ici: il propose que le big-bang puisse être simplement précédé du "big-crunch" d'un précédent univers, big bangs et crunchs se succédant à l'infini. Cette succession de plus pourrait ne pas être linéaire: une infinité d'univers-bulles parallèles éclateraient de façon aléatoire au sein d'une mousse méta-cosmique. Etant donné le nombre infini d'univers parallèles, rien d'étonnant à ce que l'un d'entre eux ait "produit" l'homme par hasard...


Voilà que nous retrouvons les cycles éternellement recommencés chers aux religions païennes!


A partir de là, notre scientifique voit la matière corpusculaire développer à l'infini ses capacités auto-organisatrices. Les éléments de base simples s'associent de façon spontanée en ensembles plus complexes qui deviennent eux-mêmes les briques d'une construction d'ordre supérieur. Et ainsi de suite jusqu'aux niveaux biologiques les plus complexes, et jusqu'à l'homme lui-même.
Le tout peut s'expliquer ainsi en terme de propriétés de la matière première dont ce "tout" est fait, en une longue chaîne causale. C'est l'approche réductionniste cartésienne par excellence.


Au fond, ce matérialisme moderne n'est pas athée: il propose bien un principe explicatif ultime, simplement son créateur s'appelle "matière" ou "nature".
En outre, le problème avec cette notion de répétition cyclique est que, selon la relativité, le cosmos est un continuum spatio-temporel et que le temps naît avec l'espace. Or en l'absence d'un lien temporel on peut difficilement imaginer une relation causale d'un univers à l'autre. Et comment envisager une cause matérielle au big-bang qui lui-même est à l'origine de la matière?


CompasCréation par le compas
Barthélemy l’Anglais
Livre des propriétés des choses



Mais peut-être le caractère inconnaissable de l'origine ne reflète-t-il que l'insuffisance de la physique actuelle? Lorsque la grande théorie unificatrice sera trouvée, celle qui intégrera la physique quantique et la Relativité, la singularité pourrait être résolue. A partir de là, tout pourrait enfin être expliqué par simple déduction mathématique.
Quant on réalise à quel point l'esprit de notre prochain nous est impénétrable (surtout celui de notre prochain du sexe opposé!) la foi matérialiste en l'intelligibilité finale du tout semble bien naïve. Mais nous sortons du domaine physique, et je réserve mes critiques du réductionnisme physique pour un prochain article.


Autres questions: s'il y a création, cela veut-il dire nécessairement qu'un créateur existe? Et peut-on parler d'existence au-delà de ce monde spatio-temporel? Notre langage, donc notre pensée construite, ne peuvent exprimer que des réalités d'ici-bas. Arrivés à ce point, il semble qu'un sain scepticisme épistémologique sera le bien venu. Comme dit le Siracide:


Ce qui est au-delà de ta compréhension, ne l'explique pas, sur ce qui t'est dissimulé, n'enquête pas (Ecclésiastique 3, 21, j'ai traduit de l'hébreu depuis T.B. Hag. 13a).


Du point de vue de la physique actuelle le pourquoi du big-bang reste donc nimbé de mystère. L'inconnaissable source de tout être peut être tout aussi bien nommée l'Inconnaissable, "qui fait être", ce qui est un des sens du tétragramme YHWH et respecte la théologie négative d'un Maïmonide.creatio
Si l'on se cantonne humblement à l'univers physique, "exister" signifie être situé dans l'espace et le temps. En ce sens, en tant que "Il fait être", on ne peut dire de cet inconnaissable qu'il "est"; en tant que faisant exister, on ne peut dire qu'il existe, dans la mesure où tout ce qui existe est créé… La question de l'existence du Créateur, compris en tant que source de toute existence, perd alors toute pertinence.




En fait, constatant le caractère indécidable du point de vue physique ou épistémologique de la question du Créateur, nous devons probablement renoncer à convaincre rationnellement le tenant de l'approche matérialiste. Entre les deux approches chacun fait en réalité son choix.
Mais il faut voir que ce choix est existentiel: faire de l'homme un produit de la matière ou de la nature en fait un être lui-même matériel, donc totalement connaissable en théorie et inscrit dans le déterminisme des lois de la nature. Il ne dispose d'aucun point d'ancrage hors du système nature pour le dominer ou dominer sa propre nature. Comment pourrait-il s'en libérer pour être capable d'un acte vraiment libre comme une œuvre d'art ou un don gratuit?
Personnifier le Créateur – à condition de ne pas oublier qu'il s'agit d'un pis-aller dû aux limitations de la pensée humaine – a au moins l'avantage de rendre compte du libre arbitre et de la créativité de l'être le plus complexe de la création.
Alors l'homme, preuve du Créateur?
Mais on objectera aussitôt que le soit-disant libre arbitre de l'homme n'est qu'une illusion, et même une prétention risible… Le droit, la justice qui se fondent sur cette notion? Simplement les moyens d'assurer l'ordre social qui utilisent hypocritement les notions de libre-arbitre et de dignité humaine transcendante pour justifier leur force de coercition…
De fait, la neurophysiologie, la psychologie et la sociologie peuvent aisément conforter cette façon de voir. Là encore, l'apparente imprévisibilité des actions d'un individu est attribuée à notre méconnaissance de facteurs d'influence trop nombreux. Lorsque nous aurons des ordinateurs suffisamment puissants...


Précisément c'est l'acte que je proposerais en réponse: Certes, qui peux prétendre que sa volonté peut être libre de toute pulsion déterministe?


Le Talmud illustre ainsi sa réponse:


Un homme né sous Mars fera couler le sang. Rav Ashi a dit : [Mais il ne tient qu'à lui de devenir] soit un chirurgien, soit un bandit, soit un boucher soit un circonciseur. Rava a dit : Moi aussi je suis né sous Mars [et je ne suis pas devenu l’un d’entre-eux]. Abbayeh lui répondit : Maître aussi punit et tue [en tant que juge]… (T.B. Shab. 156a)


Autrement dit, il ne s’agit pas d’ignorer les déterminismes cosmiques ni de réprimer ses pulsions, mais de les orienter vers une bonne fin. Ainsi la Loi, qui peut être au choix accomplie ou transgressée, est l'espace de notre liberté.


La kabbale décèle une allusion à cette puissance de l'acte dans le corps humain: élevées, nos mains atteignent plus haut que notre tête…


Alors au diable les argumentations des philosophes qui peuvent toujours se contredire interminablement! Agissons!

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