30 décembre 2009

Statistiques politiquement incorrectes... et trompeuses

Comme chaque année, le Bureau Central de Statistique publie ses dernières données démographiques. Selon lui, la population d'Israël est estimée en date du 31 Décembre 2009 à 7,5 millions d'habitants, dont environ 5,7 millions sont juifs (75,4% de la population), 1,5 million arabes (20,3%) et 319.000 définis comme "autres" (chrétiens non-arabes et habitants sans classification religieuse, 4,3%).

Mosquée Hassan Beck - Tel-Aviv

Ces distinctions ne sonneront pas politiquement correctes pour des oreilles françaises, mais dans notre pays pluriel et multiculturel, cela n'a rien de choquant.
Le problème est ailleurs, dans ce qui n'est pas dit: le Bureau ne précise pas que sont comptés parmi les Juifs environ 300.000 résidents des implantations de Cisjordanie (alias "Territoires", "Territoires disputés", "Territoires occupés") - citoyens, bien que résidents hors du territoire national - et que ne sont pas comptés les Arabes de Jérusalem-Est - non-citoyens, mais résidents dans le pays tel qu'il est défini par la loi israélienne - non plus que les Arabes de Cisjordanie et de la bande de Gaza, à la fois non-citoyens et hors des frontières politiques. Ne sont pas comptés bien sûr les travailleurs émigrés - particulièrement nombreux, légaux ou illégaux - et réfugiés soudanais, ainsi que leurs enfants, même ceux nés dans le pays, et qui vivent tous sur le territoire israélien.
Les données sont approximatives, étant donné que nombreux sont ceux qui ne remplissent jamais un formulaire de recensement, Arabes ou Juifs orthodoxes.
Tous les cas de figure sont représentés! Telle est la réalité brute, qui n'est pas reflétée par les données statistiques officielles.

135.000 personnes se sont ajoutées cette année à la population israélienne (1,8%). Les juifs devraient arriver au chiffre - oh combien symbolique - de 6 millions aux environs de 2012.

Israël + territoires, au total, match nul!

Le statut des "colons" est particulier: ils font partie intégrante de la population israélienne, mais les Territoires où ils habitent n'ont pas été annexés à l'Etat d'Israël. C'est pourquoi politiquement (et juridiquement me semble-t-il) ils ne peuvent être simplement qualifié d'"occupés"; une partie d'entre-eux est détenue sous contrôle militaire israélien, une autre est sous administration palestinienne autonome, mais ils ne font pas partie du territoire israélien et la loi israélienne n'y est pas appliquée.

Tel-Aviv / Sakhnin - le foot rapproche parfois!

Les habitants arabes de Jérusalem-Est ont un statut pas moins particulier: ils vivent dans une zone annexée au territoire israélien et ne sont pas citoyens de l'Etat; ils détiennent toutefois une carte d'identité israélienne  qui leur garantit la protection sociale des citoyens. Ils peuvent obtenir la nationalité mais ne le font pas pour la plupart. Ils peuvent voter aux élections municipales de Jérusalem ainsi qu'aux élections nationales palestiniennes, mais s'abstiennent  généralement dans les deux cas.
L'un d'entre-eux a qui j'ai demandé pourquoi il ne prenait pas la nationalité israélienne m'a expliqué qu'il préférait garder son passeport jordanien: il ne perd rien de ses droit sociaux et peut voyager librement dans les pays arabes et visiter sa famille en Jordanie.

Les habitants non-juifs d'Israël jouissent de droits de citoyenneté complets, bien que, ou étant donné que, l'Etat est défini comme "juif et démocratique".
La nationalité arabe palestinienne des citoyens arabes n'est donc pas reconnue, mais ils possèdent une autonomie culturelle et linguistique entière. L'arabe est deuxième langue officielle de l'Etat avec l'hébreu, et tous les documents officiels, la monnaie, les panneaux de la route et noms de localité sont en principe écrits dans les deux langues. Sans être politiquement un Etat binational, la binationalité est partout présente. Alors l'Etat d'Israël s'appelle officiellement aussi bien دَوْلَةْ إِسْرَائِيل que מְדִינַת יִשְׂרָאֵל.

Face au chiffre de 20% de citoyens israéliens arabes (donc Palestiniens de leur point de vue), dont le pays s'accommode relativement bien, on ne voit pas trop pourquoi un futur Etat palestinien devrait être "pur" de tout juif. Pourquoi les Juifs ne pourraient-ils pas jouir par exemple d'une double-nationalité?


Et on voudrait faire de tout cela deux Etats-Nation homogènes bien définis!

Une solution originale et créative est nécessaire. Avec une peu de bonne volonté et d'imagination - même si ce sont des denrées rares - rien ne devrait être impossible.

Yes, There must be another way!


Et en prime un livre très instructif

22 décembre 2009

Pour ne pas diviser Jérusalem/Al Quds

L'Europe demande le gel des constructions israéliennes à Jérusalem-Est. Jérusalem doit devenir "la future capitale de deux Etats, Israël et Palestine." Une capitale unique pour deux Etats, ou deux capitales, qu'ont voulu dire les européens?
A-t-on jamais vu une ville capitale de deux Etats qui ne serait pas divisée comme l'étaient Berlin ou  Nicosie? Surtout quand le futur Etat palestinien est lui-même divisé entre une entité islamiste (Gaza) en guerre terroriste ouverte contre Israël, et que l'autre (Cisjordanie) n'est qu'en guerre larvée car militairement contrôlée par l'Etat hébreu. La "solution" européenne mènerait fatalement à revenir à la partition de la ville, comme avant 1967 lorsqu'un mur la traversait de part en part en plein coeur. Et de toute façon une partition physique est impossible tant il y a aujourd'hui de quartiers juifs à l'Est, sans mentionner l'Université! Les Juifs sont aujourd'hui majoritaires à Jérusalem-Est...

L'intrusion européenne dans nos affaires, c'était trop, évidemment, pour le site Juif.org, qui a encore frappé:

Israël appelle l'UE à partager Bruxelles

"Les ministres israéliens ont choisi de rester flous dans la définition d'un futur État flamand. Israël appelle l'Union européenne à partager Bruxelles comme capitale conjointe de deux États wallon et flamand, dans un appel urgent à la négociation lancé mardi par les ministres israéliens.


Au risque de braquer Baroso et les partisans de l'unité de la ville sous férule belge, les ministres israéliens assurent qu'ils «ne reconnaîtront aucun changement autre que négocié». La seule voie d'une paix véritable est une négociation «pour résoudre le statut de Bruxelles comme future capitale de deux États», écrivent les ministres dans leurs conclusions"... Lire la suite du pamphlet de Michel Garroté

J'aime bien polémiquer avec ce site, la clareté est toujours plus lumineuse sur fond obscur!
La situation belge est bien sûr très différente: Wallons et Flamands jouissent des droits de citoyenneté égaux dans un même Etat; les Palestiniens de Jérusalem-Est n'ont pas la citoyenneté israélienne. Les quartiers juifs ont poussé comme des champignons depuis 67, pas un quartier arabe n'a vu le jour.
L'article ne propose aucune alternative. Mais au-delà de la stérile et puérile réponse du berger Israël à la bergère Europe, la comparaison avec la Belgique est intéressante. Allons jusqu'au bout:

Pour ne pas avoir à diviser notre capitale en deux alors que nous vivons nous-aussi une réalité binationale et bilingue, adoptons le modèle belge!
- création de trois Etats : un Etat juif, un Etat arabe et un Etat fédéral israélo-palestinien qui chapeaute les deux.
- définition d'un statut particulier pour la capitale fédérale, ville mixte qui dispose de son propre parlement.
- un roi souverain sur la fédération comme Albert II de Belgique, à la différence qu'ici le souverain sera supranational puisque Juifs israéliens et Palestiniens sont deux nations différentes. L'unique souverain commun personnifiera l'alliance fondatrice de l'union fédérale et s'appelle dans nos traditions Ribono shel olam/Rabb al alamin - le Souverain du monde. Parce que supranational, il fera régner la Justice et la Paix de sa Loi.
C'est la seule façon de garder une Jérusalem à la fois une, ouverte et multiple.
Commençons donc par faire aussi bien que les Belges, et nous finirons par faire mieux!

Pour plus de détails:

http://vudejerusalem.blogspot.com/2009/08/israel-etat-juif.html

Et en musique!









Et quelques livres:



















15 décembre 2009

La Halakha oui, mais en quel Etat?

Le ministre de la Justice, Yaacov Nééman a déclaré la semaine dernière dans un congrès sur le droit hébraïque: "La Torah contient une solution complète à toutes les questions auxquelles nous faisons face", "Il faut faire des lois de la Torah le droit contraignant dans l'Etat d'Israël. C'est la bonne façon de nous restituer les lois de la Torah - pas après pas.”
Ce pavé dans la mare, lancé en plus par le plus haut responsable du système juridique, a fait des vagues.

Les rabbins ont applaudi, mais la plupart des réactions dans les médias - reflétant le consensus laïc majoritaire - a été de crier "la démocratie en danger" et d'agiter l'épouvantail d'un Etat de la Halakha, un "Etat talibanique"! C'est le cas de cet article du journal Maariv traduit ici en français.

Un article d'un blog publié sur plusieurs sites juifs francophones défend l'opinion contraire: selon son auteur, Bertrand Ramas-Muhlbach,  il serait souhaitable de fonder le droit israélien sur la Halakha (la loi rabbinique dérivée du Talmud). Cet article mérite d'être lu car il reflète l'opinion de nombreux israéliens religieux et sionistes modérés qui pensent qu'il suffirait d'ajouter un peu plus de religion, de lois inspirées du droit hébraïque, pour obtenir un parfait "Etat juif".
J'ai répondu à cet article et je reprends ici ma réponse:

Non, prendre la Halakha comme source du droit israélien n'est pas nécessairement une idée saugrenue, de prime abord, mais ce serait une révolution dont l'auteur de cet article ne semble pas mesurer toute l'ampleur.
Il écrit: "La Thora et la Halakha ne s’opposent donc en rien à la démocratie ".
Elles ne s'opposent pas toujours dans le détail de leur contenu, tel que la liberté d'expression (mahloket) ou l'éthique, c'est vrai.
Mais Thora et démocratie sont totalement incompatibles dans leur principes fondateurs: "démocratie" signifie "pouvoir du peuple", que toute souveraineté relève du peuple, que sa volonté est fondement du droit.
"Souveraineté du peuple" veut dire que le peuple ne reconnaît aucun autre souverain au-dessus de lui-même, aucune loi transcendante. La démocratie est autonomie et rejette toute hétéronomie.
La Torah, la Halakha, sont fondées sur le principe inverse: Dieu est l'unique souverain et source du droit. Il s'est donné un peuple en le faisant sortir d'Egypte. Il a choisi des hommes sans aucun pouvoir propre, des esclaves, pour que de serviteurs de Pharaon ils puissent devenir directement et immédiatement Ses serviteurs à Lui et à nul autre.

Les conséquences de ces deux approches sont elles-aussi totalement opposées:
- dans l'Etat démocratique, non juif dans ses fondements comme l'est Israël aussi, le droit est le moyen d'assurer l'existence de l'Etat et de la cohésion sociale. En cas de danger pour l'Etat, toute loi ou constitution peut être abolie et remplacée par une autre: l'indépendance du peuple sur sa terre prime tout, c'est "la Raison d'Etat".
- dans un Etat juif, un Etat halakhique, c'est le contraire: la terre est donnée afin que le peuple y fasse régner D. Si la Loi transcendante est rejetée, l'Etat n'a plus de raison d'être.

Jadis, les couronnes de la Torah n'étaient pas qu'un symbole

Comme le prévient le Shema, le peuple sera dispersé s'il rompt l'Alliance.

Il y a beaucoup d'autres conséquences incompatibles avec la démocratie parlementaire. Entre autres: pouvoir législatif qui n'est en fait que juridique (d'interprétation de la Loi) et réservé à des spécialistes, les rabbins; juges qui seront pour la plupart des rabbins; différentes catégories de citoyens inégales devant la loi: femmes, étrangers...; les personnes juridiques morales - sociétés anonymes, associations, Etats, corps d'Etat et administrations - n'existent pas dans la Halakha, mais seules les personnes humaines associées (shoutafim); la propriété ne peut être que privée, la personne "Etat" ne peut être une entité reconnue et donc ne peut être propriétaire de terres; les hiérarchies administatives n'existent pas non plus, il n'y a que des délégués (shlihim) qui reçoivent mandat des seuls citoyens mâles et majeurs pour une mission donnée. Ces délégués doivent impérativement être des juifs (benei brith, membres de l'Alliance). Mais ces domaines civils de la loi rabbinique sont ignorés des yeshivot et des rabbins, ce qui fait qu'ils ne sauraient pas comment faire fonctionner un Etat vraiment juif. Il leur faudrait étudier le droit constitutionnel, les sciences politiques et la théorie juridique de l'Etat pour comprendre la position halakhique sur ces questions. Commençons donc par faire le travail théorique! Lorsque l'auteur conclue "rien n’interdit d’admettre progressivement la Thora et la Halakha dans le système social israélien" il démontre qu'il n'a pas même commencé à s'y atteler. L'application de la loi juive métamorphoserait toutes les structures sociales du pays.

La Halakha peut évoluer dans son contenu - égalité des femmes (dans la différence), droits des non-juifs, musulmans et chrétiens, (intégrés dans l'Etat juif ou associés en fédération?) etc. - mais elle ne changera pas dans ses principes. L'introduire progressivement dans le droit étatique israélien, comme le proposent le ministre Nééman et à sa suite l'auteur de cet article, serait trahir la Halakha dans ses fondements et la dénaturer.

Dans un Etat-Nation ne peut exister qu'un seul peuple souverain. L'Etat d'Israël actuel n'est juif que de façon symbolique, il est démocratique dans ses fondements et tout citoyen, quelque soit son appartenance religieuse et "ethnique" est l'égal des autres devant la loi. La Halakha a déjà un pouvoir juridictionnel dans le domaine du statut personnel, mais elle ne détient ce pouvoir que de la bonne volonté du législateur laïque, la Knesset. Il en est de même pour la Shaariya qui règle le statut personnel des musulmans d'Israël et pour les tribunaux confessionnels chrétiens. Toutefois, la définition d'Israël "Etat juif" fait déjà problème et interdit aux citoyens non-juifs de se sentir des citoyens à part entière pleinement chez eux.

Nééman parle de faire de la Torah la Loi dans l'Etat d'Israël. L'Etat, pour lui, n'est donc pas remis en cause dans sa nature d'Etat-Nation et reste le cadre global au-dessus de la loi elle-même. Cela reviendrait à mettre une législation juive, la Halakha, au service du nationalisme juif et de son Etat-Nation souverain, ce qui en ferait une législation raciste, soumettant les non-juifs au pouvoir des juifs. Il n'y aurait pas de plus grande profanation de la Torah et tout serait alors perdu.
Les grandes religions monothéistes issues du judaïsme - le christianisme et l'islam - ne peuvent être traitées dans le cadre des catégories de la Halakha qui s'adressaient aux païens: étrangers résidents, noachides, idolâtres. Inversement, les deux religions-filles doivent elles aussi reconnaître leur dette envers la religion-mère d'Israël et renoncer à leur désir de la soumettre ou de la faire disparaître par conversion ou par les armes.
Car finalement, c'est là qu'est tout l'enjeu: apprendre à faire place à l'autre, à l'étranger.

Reconnaître le Souverain du Monde comme souverain supranational unique et exclusif - comme le fait fondamentalement la Halakha - permettrait au contraire aux différentes nations monothéistes d'Israël d'être reconnues dans leur identité nationale et de vivre sur un pied d'égalité: soumis et alliés au même Souverain, mais indépendants les uns des autres, Juifs, Musulmans et Chrétiens pourraient former alors l'alliance des tribus fédérées d'un nouvel Israël. J'ai décrit dans un post précédent Israël Etat juif? à quoi pourrait ressembler cette fédération.
La Halakha au sens strict ne concernerait que l'Etat juif dans la fédération israélo-palestinienne; dans ce cadre fondamentalement égalitaire, la Halakha pourra reprendre sa marche antique et redevenir ce qu'elle a été au cours des siècles: le système de droit le plus avancé de son époque.

Il ne faut pas se voiler la face: si on ne trahit pas la Halakha dans ses principes, fonder le droit d'un Etat juif sur elle sera une révolution totale qui ne laissera rien subsister de l'Etat d'Israël actuel.
J'appelle cette révolution de mes voeux.

Petite bibliographie, pour y comprendre quelque chose





Benamozegh, à lire absolument!







1 décembre 2009

Vive la crise!

Enfin une information sur le climat qui fait plaisir:

Baisse des émissions de CO2 en 2009, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) diminueront d'environ 2,8% cette année, soit leur plus forte baisse depuis une quarantaine d'années!


Mais pourquoi n'en parle-t-on pas plus? Qui a peur de le dire tout haut: la crise économique, pour l'instant, nous sauve de la catastrophe. Nous risquerions peut-être d'en déduire qu'il faut qu'elle se poursuive! Oserons-nous blasphémer contre Sainte Croissance?
D'après une étude d'économistes britanniques, si la récession se poursuivait à son niveau actuel, les émissions de gaz à effet de serre dans le monde seraient de 9 % inférieures aux prévisions pour 2012. Cela nous donnerait 21 mois de sursis avant d'atteindre le seuil des deux degrés de réchauffement jugés dangereux. Et si la crise s'aggravait au point de celle de 1929 ce seraient 23 % et cinq ans qui seraient gagnés.
Selon Terry Barker, directeur du Centre de recherche sur le changement climatique à l'université de Cambridge, les émissions de CO2 avaient chuté de 35% entre 1929 et 1932, en pleine crise économique. Pour se faire une idée, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont bondi de 50% depuis 1970. Nous sommes loin du compte, mais le mal et son remède restent du même ordre de grandeur!

Bien sûr, si les niveaux d'émission reprennent ensuite leur niveau d'avant la crise, ce n'est que reculer un peu pour mieux sauter. Mais cela n'est pas obligatoire. A nous de changer nos comportements.
C'est là que se trouve l'extraordinaire opportunité de révolution économico-écologique offerte par la crise: elle nous donne un répit pour réfléchir, prendre conscience, développer les techniques nécessaires à un développement durable.
La croissance n'est pas mauvaise en soi, tout dépend de quel type de croissance il s'agit: elle pourra redémarrer, oui, mais selon un paradigme nouveau, celui d'une croissance "verte", non polluante, et surtout qui ne modifie pas la composition de l'atmosphère terrestre.

Mais on dit un peu partout dans le monde que la crise est passée maintenant, que la reprise a commencé.
Je m'inquiète vraiment. Dites-moi que non, dites-moi qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, que c'est juste l'effet de la perfusion massive d'argent frais dans les veines du monstre!
De fait, aux dernières nouvelles, le chômage augmente encore aux USA et atteint maintenant 9,8%. Le dollar ne cesse de plonger; les chinois, les saoudiens et les autres s'aperçoivent que leurs réserves de devises ne sont que des montagnes de monnaie de singe, Dubaï est en faillite, ses richesses étaient aussi artificielles que ses îles...

Ouf, ce n'est peut être pas fini! C'est que la crise est notre seul espoir! Elle seule est en mesure actuellement de stopper, ou au moins ralentir, la surchauffe mondiale.

En effet, la baisse de la consommation mondiale signifie moins de production industrielle et agricole, moins de déplacements (travail, business, loisir, tourisme), moins de construction, moins de déforestation... donc au total moins de CO2 et de méthane émis.

Bref moins de tout va dans le sens des écologistes radicaux et ce, beaucoup plus vite que prévu... Pourtant, les verts apparaissent craindre que la crise économique et financière ne décourage les investissements dans les énergies durables. Ne devrions-nous pas au contraire les voir se réjouir de cette crise bénie?
Difficile à l'admettre, mais la récession s'avère nécessaire pour nous sevrer de notre dépendance envers les combustibles fossiles.

Il y n'a pas si longtemps, le débat "pour ou contre la croissance" agitait les milieux écologistes et politiques. La crise financière l'a rendu soudain obsolète: son objet, la croissance industrielle mondiale, a disparu.
Ce brutal coup de frein à la production industrielle est le bienvenu, il apparaît presque providentiel, au vu de l'imminence de la catastrophe écologique globale. C'est incroyable, comme dans un film, comme si juste à la veille de l'explosion de la machine une "main invisible" avait ouvert les vannes du circuit de vapeur surchauffé...

C'est le caractère "providentiel" de cette crise, trop beau pour être dû au hasard, que je veux examiner ici. Est-ce une autre main invisible, plus forte que celle du marché, qui nous a sauvé momentanément?
Comment pourrait-on expliquer un lien entre crise économique et crise climatique?

Je laisse les interprétations surnaturelles aux prêcheurs en tout genre qui ne manqueront pas d'exploiter le filon apocalyptique. Les résonnances bibliques ne manquent pas: le texte du shema met en garde du lien direct entre "pluies en leur temps" et respect de la loi divine; sa transgression est sanctionnée du Déluge purificateur, des destructions de la Tour de Babel, de Sodome et Gomorrhe, avec au bout la fin du monde.

La question sera: y-aurait-il malgré tout un lien de causalité rationnelle entre les deux sphères apparemment indépendantes de la moralité financière et de l'écosystème planétaire? Peut-il y avoir un rapport entre un phénomène social et un autre climatologique?
Si lien il y a, c'est chez l'homme, bien sûr, qu'il faut le chercher.

On s'accorde pour dire que la cause de la crise des subprime réside dans l'irresponsabilité généralisée des acteurs économiques: irresponsabilité du consommateur encouragé à rêver éveillé le "rêve américain" sans qu'il en ait les moyens; irresponsabilité des banquiers encouragés "à faire du chiffre" et à accorder le plus possible de crédit à des débiteurs dont ils ne vérifient pas la solvabilité; produits financiers opaques et abstraits qui permettent de dissimuler les dettes insolvables et les faire passer de mains en mains...
Le résultat est que la dette des ménages américains a doublé entre 2001 et 2008, pour atteindre 14000 milliards de dollars. Le ménage américain moyen détient 13 cartes de crédit!

C'est toute une culture de consumérisme, de gratification et profits immédiats sans effort qui est en cause, une culture commune aux consommateurs et à ceux qui les ont financé. Tous ont "tiré des plans sur la comète", vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué", comme dirait la sagesse populaire. C'est cela "vivre à crédit", tenir pour assuré un gain futur. Quelle vanité!
Mais que l'on ne nous assène pas non plus ces formules moralistes qui jettent l'opprobre sur "la cupidité", ou "l'appât du gain" des banquiers: ce serait faire fausse route et se priver de la possibilité de reprendre le bon cap. Il n'y a pas de mal à vouloir gagner de l'argent. Sans le désir de richesse, cette passion pour certains, l'économie ne tournerait pas et la pauvreté serait générale. Tout dépend comment l'argent est gagné. Le Talmud parle de "masa u-matan be-emuna", soit: "transactions en confiance, en foi". Sur cela tout d'abord, dit-il, nous serons jugés en arrivant au ciel. Car c'est le test ultime, et le plus difficile: tenir compte de l'intérêt de l'autre comme du sien propre et ainsi cesser de se faire un dieu. "L'argent honnête", pour le dire vite.
L'imprudence, l'impatience, la malhonnêteté, le mensonge, ce sont eux qu'il faut dénoncer. Ce sont eux qu'une règlementation sage doit prévenir.
Leur sanction s'est traduite par une crise du crédit, une crise de confiance généralisée.
Le crédit, la confiance, ce sont les composantes horizontales, laïques, de la foi religieuse verticale. L'économie, c'est-à-dire les échanges entre producteurs et consommateurs, exige la croyance réciproque. La crise est fondamentalement crise de foi en ce dieu du "In God we trust" proclamé par les billets verts et qui fait toute leur valeur.

Or il s'avère que ce comportement irresponsable est exactement le même dont nous faisons preuve envers toute la planète: nous exploitons ses réserves plus vite qu'elles se renouvellent, nous polluons plus qu'elle ne peut digérer, nous consommons plus que ce qu'elle peut donner.
Là-aussi nous vivons à crédit et repoussons les échéances sur les générations à venir. Eux paierons pouvions nous croire il y a quelques années, mais voilà, salutairement, nous sommes déjà en train de payer!

C'est donc clair, une même cause conduit à deux effets: crise économique et crise climatique.
La perte de confiance entre les agents économiques, c'est "un froid" qui s'installe entre les hommes. La chaleur qui a quitté les relations humaines est, en quelque sorte partie dans l'atmosphère... la thermodynamique s'y retrouve! Tenons-nous là la loi qui régit un métasystème socio-écologique que la saturation du globe terrestre par l'homme a fait émerger? La double crise, climatique et économique ne serait alors que la première manifestation d'une rétroaction régulatrice.
C'est bien de régulation qu'il s'agit! Autrement dit, si la Loi n'est pas internalisée, elle nous revient par l'extérieur: "l'environnement" en catastrophe. Nous retrouvons le schéma du "shema", "Ecoute Israël [...] si tu écoutes et obéis à mes commandements et aimes ton Dieu de tout ton coeur [...] je donnerai la pluie en son temps [...] sinon il n'y aura pas de pluie et la terre ne donnera pas ses récoltes..."

Mais une fois la crise passée, la consommation "sale" risque de repartir de plus belle. Encore une fois ce n'est pas la consommation par elle-même qui est mauvaise, c'est ce qu'on nous fait consommer et comment il est produit. Il est à craindre que la communauté internationale aura du mal à passer d'elle-même à un mode de vie durable.

Que faire? Pouvons-nous - nous simples humains - influer sur un système macro-économique tout puissant? Y a-t-il encore un capitaine à la barre? Les personnes morales qui dominent le jeu mondial - Etats, banques, fonds financiers, cartels - ont un tel pouvoir, tant de capital qui équivaut à un temps de travail quasi éternel...
Mais derrière ces masques, il n'y a que des hommes qui s'agitent en nombre, les animent et leur donnent leur force!
La faute? Le culte d'Abondance. De simple conséquence des transactions honnêtes conduites en confiance, de simple moyen d'échange, la voilà posée en but de toute action. La voilà qui guide le peuple, se fait Marché qui marche tout seul. Le Veau d'or, raconte le Midrash, s'est animé, est sorti tout seul du creuset et s'est mis à danser...

Illustration: Henri Meyer - 1892

Cela fait longtemps que l'argent qui servait à acheter ou vendre une marchandise est devenu lui-même marchandise achetée et vendue; l'argent donné en échange du temps de travail, "fait des petits" tout seul par travail du temps. Mais il a fini par prendre le pouvoir...
Or sans que personne ne le décide vraiment, la crise a pratiquement rétabli l'interdit biblique du prêt à intérêt en offrant des crédits à taux zéro. Si quelqu'un nous avait dit avant la crise qu'il faut revenir aux prêts gracieux pour sauver l'économie, on lui aurait rit au nez! Voilà une autre rétroaction salvatrice qu'il faudrait méditer.


La solution est entre nos mains: dans un premier temps, tout faire pour que la crise se prolonge. C'est facile et c'est en notre pouvoir, nous, les consommateurs.
Ne consommons pas d'avantage! Nous ne vivons pas si mal comme cela. Faisons la grève de la consommation. Ainsi, même si techniquement la crise pourrait prendre fin, elle se poursuivra.

Il faut pour cela bloquer la relance. Eviter de reprendre confiance. Ne prenez pas de crédit. Dites-vous que tous les banquiers et les financiers sont des escrocs. Fini la foi dans les faux dieux!


Cette croissance exponentielle ne peut être laissée à elle-même


Il faut éviter toutes les manipulations du marketing, les incitations à la consommation. Zapper la pub, détourner le regard des panneaux publicitaires. Vivre simple, satisfaire ses vrais besoins, pas ceux qu'on nous fabrique. Moins on possède, moins on a de soucis! Les choses les plus précieuses ne peuvent être achetées: l'amour, l'air pur, le parfum de la terre après la pluie, le rire d'un enfant...

Et les pauvres me direz-vous, ils vont être encore plus pauvres! C'est facile à dire quand on vit à l'aise! Ecolos bobos!
La croissance, nous l'avons bien vu, n'empêche pas la pauvreté. Elle ne fait qu'augmenter les disparités. Assez d'hypocrisie, il suffirait d'un impôt minuscule sur les transactions spéculatives mondiales pour éliminer totalement la pauvreté. Quant à la crise climatique, c'est la pauvreté assurée, et à grande échelle: sécheresses, famines, cyclones, inondations, eau polluée, maladies... Ces plaies frapperont les pauvres et le tiers monde d'abord.
Là-aussi nous pouvons répondre par notre action: s'associer aux plus pauvres, former des coopératives, et donner a ceux qui n'ont pas le minimum, partager, c'est le plus grand bonheur.
La vraie richesse, c'est la connaissance. Ouvrons à tous son accès. Au chômage, étudions, enseignons.

Puis, si l'on veut s'offrir quelque objet ou distraction, choisissons-les avec soin, non producteurs de gaz à effet de serre, non polluants et fabriqués de façon durable. La production suivra docile.

Une petite bibliographie:
















Jérusalem est duelle. L'unité est au-delà, à construire ensemble

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