23 mai 2008

Les affaires sont les affaires

Enfin cette bonne nouvelle dans Haaretz d'avant-hier:


Contrairement à sa précédente décision d'il y a un an déjà (4 juin 2007), le ministère de la défense a finalement décidé de tester le système anti-roquette Vulcan Phalanx. Le ministre avait préféré alors le système de la société israélienne Rafael "Iron Dome" qui n'a pas encore fait ses preuves, coûtera des closein_weapon_systemmilliards de shekels, et ne devrait être fonctionnel qu'en 2011! Les habitants de Sdérot et des Kibboutz environnants n'avaient qu'à s'armer d'un peu de patience! Et d'ici là, les Palestiniens auront trouvé autre chose...


Le système Vulcan Phalanx


Le système Phalanx produit par la société américaine Raytheon, lui, est parfaitement opérationnel et peut être immédiatement mis en place. De plus il est relativement bon marché (8 à 15 millions $) et ses munitions aussi. Chaque missile lancé par "Iron Dome" coûtent de 30 à 50,000 dollars alors qu'un Kassam ne coûte presque rien!
En fait on a appris ensuite, bien après que le "Dome de fer" soit approuvé, qu'il ne pourrait pas protéger Sdérot car elle est trop proche de Gaza. On a envisagé de créer une zone tampon pour que les tireurs soient à la bonne distance... (
Haaretz).


Le système de défense rapprochée Vulcan Phalanx  a été à l'origine mis au point pour la marine et donne satisfaction depuis plusieurs décennies. Sauf dans la dernière guerre du Liban lorsqu'une corvette porte-missile israélienne Saar-5 a été touchée par un missile. Mais le Phalanx n'avait pas été mis en route!


La version terrestre plus récente s'appelle le système C-Ram. La batterie se compose d'une mitrailleuse lourde à tir ultra-rapide (6.000 projectiles à la minute) couplée à un système radar. Une fois un missile détecté, les canons créent un rideau d’acier de balles volant à la vitesse d'un kilomètre par seconde - quatre fois plus vite qu’un Kassam. Selon les rapports américains le système est d'efficace à 80 % contre les missiles  et obus de mortier.


Ce système est bien assez bon pour les États-Unis et les forces armées britanniques et canadiennes qui emploient le Phalanx pour protéger leurs bases en Irak et en Afghanistan. Mais le plus convainquant est queC_ram les américains s'en servent pour défendre toute la zone verte, la zone gouvernementale de Bagdad.


Le système terrestre C-RAM


Mais le ministre israélien voit les choses d'un autre oeil. Cela fait environ un an maintenant que des experts indépendants et des spécialistes de Tsahal avaient essayé de convaincre Ehud Barak. Cependant, l'idée a été constamment rejetée par le ministère de la défense.


Un autre spécialiste en balistique dont j'avais lu un article il y a quelques mois, le Dr. Nathan Farber, avait essayé de convaincre le ministère depuis longtemps, sans succès. Je m'étais dit alors les spécialistes du Ministère doivent savoir de quoi ils parlent...


L'explication officielle du rejet reste dans le flou: "après étude les experts ont conclu que le système ne satisfait pas les besoins de défense d'Israël contre des mortiers et des missiles Kassam".
Des sources au ministère ont ensuite expliqué que le système ne convient pas pour Sdérot parce qu'il ne peut protéger que des zones de quelques centaines de mètres carrés seulement.



On nous prend pour des imbéciles? La Green Zone de Bagdad à une surface de 10 km², ce n'est pas si petit! Et la base militaire de Zikim, près d'Ashkelon - où avant-hier encore un soldat a été blessé par un tir de mortier - elle est aussi trop grande pour être protégée? Et les kibboutz qui jouxtent la frontière?


D'après Uzi Rubin, un spécialiste des missiles et ancien responsable du Ministère de la Défense, quatre batteries C-RAM  - pour 15 million $ pièce - pourraient défendre Sdérot de façon efficace contre les roquettes Kassam. Cela aurait pu être fait depuis des années. (Voir ce site militaire). Pour comparaison, le renforcement en béton des 8000 maisons proches de Gaza que le gouvernement a été contraint d'approuver il y a peu coûtera près de 100 millions $.


Un autre système américain qui a été rejeté est un système laser nommé "Skygard" de Northrop Grumman. 100% efficace, moins cher que le système de Rafael et pouvant être mis en place plus rapidement. Le ministère de la défense n'a pas daigné répondre aux propositions des américains.
Lorsque le directeur général du ministère de la défense décide l'année dernière d'aller voir sur place aux USA le système laser, "on" fait passer dans les médias israéliens une fausse information: la plupart des essais ont échoué. En fait il n'y a eu aucun essai et ne devait pas y en avoir. (omedia.co.il, aujourd'hui). Les défenseurs de l'industrie bleu-blanc sont vraiment très efficaces... 



Une batterie C-RAM a finalement été commandée aux USA pour la tester contre les mortiers et Kassams tirés depuis la bande de Gaza. Toutefois, on ignore quand elle arrivera en Israël. On raconte que le directeur général du ministère, Pinhas Buchris, aurait pris cette décision malgré l'opposition de plusieurs haut-fonctionnaires.


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Le vaisseau Saar-5. Un missile chinois tiré par des experts iraniens l'a touché depuis la côte libanaise


Début mars, une délégation des fonctionnaires du ministère de la défense et des officiers de l'Armée de l'Air est allé aux USA évaluer le Phalanx. La délégation a conclu que "le système pourrait fournir au moins une réponse partielle à la menace venant de Gaza".


L’année dernière ce n’était pas suffisant?


Visiblement il y a d'autres raisons qui ont fait préférer le projet de Rafael malgré son coût.


Une première hypothèse est une mesure de rétorsion contre les américains qui ont refusé d'acheter le système israélien de  protection active de blindés TROPHY produit par Rafael.


L'autre hypothèse est plus probable mais j'ai du mal à l'envisager: si le système C-RAM s'avérait suffisant pour contrer les roquettes Kassam, on risquerait de ne plus avoir besoin du Iron Dome et le gouvernement aurait du mal à justifier son achat. Et si au contraire celui-ci avait l'occasion de prouver son efficacité à protéger la population du Néguev Occidental, ce serait un argument de vente inestimable pour son exportation vers tous les théâtres de combat.


Ce qui me rend d'autant plus suspicieux - outre notre manque maintenant chronique de confiance envers la classe politique - est la façon dont les décisions ont été prises: parmi les membres du panel d'expert qui a approuvé le projet et lui a alloué un fond de recherche d'un milliard de shekels se trouvait Yedidya Ya’ari, un proche d'Ehud Olmert et PDG de Rafael Armements! (Haaretz).


Olmert avait nommé son ami Ya'ari dans la Commission Winograd qui a enquêté sur la seconde guerre du Liban. Le Conseiller juridique du gouvernement, Menahem Mazouz, a annulé sa nomination une semaine plus tard pour conflit d'intérêt. Rafael, en effet, est une compagnie gouvernementale, ce qui plaçait Ya'ari dans la dépendance d'Olmert.


L'opinion publique israélienne, écoeurée par les effluves nauséabondes des "affaires" que laisse Olmert dans son sillage, n'est pas encore vraiment au courant. Le mépris de la direction politique et militaire du pays pour sa population civile était patente durant la deuxième guerre du Liban. Ce nouveau scandale le confirme encore d'avantage.
S'il s'avère que la population de Sdérot subit depuis huit ans un des pires traumatismes qu'une population civile ait connu pour les intérêts du complexe politico-militaro-industriel, les réactions risquent d'être très dures.

20 mai 2008

Guerres inutiles / Guerres utiles

Le film de l'Israélien Ari Folman - Valse avec Bachir (Waltz With Bashir) - reçoit des critiques élogieuses et est pressentit pour les Palmes d'Or à Cannes. Je n'ai vu que la bande annonce, les premières images et quelques critiques, mais ce film d'un genre nouveau, un des premiers long-métrages documentaires d’animation de l'histoire du cinéma, m'a tout de suite enthousiasmé.


DanceBashirOutre la valeur purement artistique de ce drame psychologique, l'apport essentiel du film tient dans sa démystification de la guerre. Dans la foulée de "Beaufort", il met en scène la guerre dans sa banale et absurde cruauté; des soldats y sont jetés sans raison valable, antihéros qui subissent les évènements sans les comprendre. Un film à l'opposé de toute l'esthétisation hollywoodienne de la guerre.


Je me réjouis du succès de ce film qui reste dans le droit fil de l'éthique juive: tel Jacob qui selon le Midrach prie - avant le combat contre son frère Esau qui approche, entouré d'hommes en armes - "Que je n'aie pas à tuer et que je ne sois pas tué" et fait tout pour apaiser son frère; ou comme la coutume de ne pas chanter le psaume du Hallel en entier au Seder de Pâques parce qu'il ne faut pas se réjouir de la mort des Égyptiens, dans l'esprit de Proverbes 24:17: « Lorsque ton ennemi tombe, ne te réjouis pas ; s’il succombe, que ton cœur ne jubile pas ».


Puis je surfe encore pour voir ce que l'auteur lui-même dit de son film. 


Elizabeth Tchoungui a interviewé Ari Folman sur France_24. Il explique que son but était d'abord de traiter son stress post-traumatique dû à la première guerre du Liban, en 1982, puis l'espoir de faire passer leur engouement pour la guerre à au moins quelques jeunes. "Les guerres, la guerre, n'importe où, sont inutiles... rien de bon ne peut en sortir" conclue-t-il.


Je suis déçu. C'est exactement la douce musique que les oreilles européennes veulent entendre. Ah, c'est tellement tentant de plaire encore plus aux admirateurs et de les caresser dans le sens du poil, pour être ensuite ovationné sur les tapis rouges de Cannes.
Autrement dit ce n'était pas la peine de faire la guerre à Hitler, il fallait laisser les Serbes continuer à massacrer en paix, il aurait fallu laisser le Koweït à Saddam, à quoi bon Israël se défend-elle contre le Hezbollah ou le Hamas...



Que Folman exploite ainsi son traumatisme de la guerre du Liban est d'autant plus dommage que celle-ciwaltzwithbashir précisément a été sanctionnée de façon différentielle sur sa légitimité: Sharon, alors ministre de la Défense, avait mandat du gouvernement pour repousser l'OLP à 40 km à l'intérieur du Liban. Toute la population du Nord d'Israël était bombardée depuis cette zone.  Jusque-là il s'agissait d'une guerre de légitime-défense parfaitement justifiée, et légitimée par un gouvernement démocratique lui-aussi parfaitement légitime.


Ensuite, ce n'est plus le cas: Sharon - désobéissant délibérément aux décisions du gouvernement de Menahem Begin - lança de son propre chef tanks et avions sur Beyrouth pour en déloger Arafat.  Bachir Gemayel  assassiné par un agent syrien, Sharon entre dans Beyrouth-Ouest. Le film se termine là: les Forces Libanaises - alliés d'Israël alors - se vengent de la mort de leur nouveau président et en profitent pour "nettoyer" à leur façon le camp palestinien de Sabra et Shatila.


La commission Kahan qui enquêtera en 1983 a montré que les Forces libanaises sont les seules directement responsables du massacre. Elle retiendra une responsabilité indirecte, morale, non juridique, pour Menahem Begin et exigea le limogeage d'Ariel Sharon, en ce qu'il n’a "pris aucune mesure pour surveiller et empêcher les massacres".
L'armée israélienne aurait-elle dû se douter de ce que les phalangistes chrétiens, entraînés par elle, risquaient de lui désobéir et de s'en prendre aux civils et non uniquement aux terroristes de l'OLP? Des soldats israéliens ont-ils été témoins impassibles des massacres et des viols, ou étaient-ils trop loin pour distinguer des civils de terroristes ou pour voir quoique ce soit? (voir
l'article de l'Arche
) Et quid de la responsabilité de l'OLP qui avait truffé le sous-sol des quartiers de Sabra et Shatila de galeries bourrées d'armes et qui n'avait pas retiré tous ses combattants? Et celle des forces internationales franco-italo-américaines, qui étaient garantes de la sécurité des populations civiles et se retirent plus tôt que prévu? Ou pire, le refus de l'armée libanaise elle-même d'intervenir?


Si le film se contentait de critiquer cette partie de la guerre, je comprendrais, quoique cela ne serait pas bien intéressant: les 400,000 israéliens qui sont alors descendus dans la rue, le gouvernement qui a nommé la commission d'enquête qui a renvoyé Sharon à ses moutons pour de longues années, Begin qui a démissionné et finit sa vie reclus dans son appartement, n'ont pas de leçon à recevoir d'un cinéaste à l'âme particulièrement sensible.
Quant à se lancer dans de grande tirades sur la vanité des guerres quand on vit dans un pays qui serait dévoré par ses voisins au moindre signe de faiblesse...



Faire la distinction entre ces deux guerres au sein de la guerre du Liban, c'est cela qui était important et qui est gâché par l'état d'esprit de cette Valse avec Bachir.



Folman donne une autre interview en hébreu sur YNET qui est un peu différente: à la fin de ses périodes de réserve il y a cinq ans, il suit une psychothérapie dans le cadre d'un essai thérapeutique. C'est alors qu'il comprend  qu'il doit faire ce film. Le but: "Entre-temps ma femme et moi avons amené trois enfants dans ce monde [...] quand ils grandiront et verrons le film, peut-être qu'il les aidera à prendre les bonnes décisions, c'est à dire ne participer à aucune guerre".
Est-ce à dire que Folman appelle à la désertion? Ou tout simplement à quitter le pays et aller se planquer en laissant dans le pire des cas les goyim s'entre-tuer dans leurs guerres stupides?



Mais peut-être suis-je trop dur avec Folman, moi qui n'ai fait aucune guerre? Après tout on peut penser qu'aucun État ne vaut la peine de sacrifier ses enfants pour lui. Peut-être suis-je influencé par tous ces commentaires de talkbackistes israéliens de droite qui vitupèrent contre "ces gauchos d'artistes dévorés par leur haine d'eux-mêmes, quand ils ne font pas qu'exploiter l'antisémitisme des milieux intellectuels de gauche tiers-mondistes pour se faire une carrière en Europe sur le compte d'Israël qui en plus finance leurs travaux..."


Car son traumatisme est réel; ce sentiment de culpabilité qui a gommé cette époque de sa mémoire mérite d'être respecté. C'est une courageuse tentative de thérapie par un film d'animation / réanimation (j'ai emprunté ce jeu de mot) du souvenir qui nous offre ce film et les magnifiques illustrations de David Polonsky.


Cette culpabilité - ne serait-ce que d'être associé de loin à une boucherie - mérite qu'on y réfléchisse.
Mais pourquoi cette culpabilité chez un soldat qui personnellement n'a commis aucun massacre?



Le Monde commente: "Valse avec Bachir est un film sur la peur et sur la culpabilité qui ose montrer ces soldats israéliens comme victimes [...] ils n'ont pas participé aux massacres mais ne sont-ils pas suspects d'avoir endossé le rôle des nazis durant la seconde guerre mondiale, se demande Folman. Leur chaos psychologique met en effet en regard Sabra et Shatila et le ghetto de Varsovie."



Voilà, nous retrouvons le nazisme "en regard" d'Israël. Dans un message précédent j'ai montré un exemple de documentaire télévisé patriotique qui voit dans la puissance militaire israélienne la réponse à Hitler. Si le patriote israélien se veut aussi fort qu'Hitler, le pacifiste qui dénonce le patriotisme se doit de dire "nous ressemblons aux nazis".
Dans les deux cas la réaction est délirante. Hitler et le nazisme ne sont plus là. Israël - justement - a plutôt bien réussi jusqu'à aujourd'hui à relever le défi d'avoir à recourir fréquemment à la force militaire sans trahir ses valeurs éthiques juives et démocratiques. Pourtant ses ennemis font systématiquement tout pour que le soldat israélien soit dans la position de  l'Occupant qui opprime des civils.


Tant qu'une solution politique ne sera pas adoptée par les camps en présence, Hamas, Hezbollah et Iran y compris, ou tant que le Messie ne sera pas arrivé, il faudra se salir parfois les mains dans des guerres défensives et justifiées, des GUERRES UTILES. Car tant que le monde restera soumis au règne des Etat-Nations, les Juifs auront besoin du leur pour essayer d'exister en tant que peuple, avec toutes les contradictions que cela implique. Mais c'est une question trop vaste pour en traiter ici.



Folman définit son film comme parfaitement apolitique. Dire que toutes les guerres sont inutiles, ce n’est pas politique? La désinformation médiatique dont nous sommes coutumiers a fait porter sur Israël toute la responsabilité du massacre de Sabra et Shatila (voir sur Le Monde Diplomatique). Déjà le Guardian (Folman's confession thrills Cannes) voit dans ce film le mea culpa d'un soldat israélien. Est-il permis, dans ce contexte, de s'offrir de telles compassions nombrilistes et apolitiques?


Aucun responsable libanais des nombreux massacres (Damour, Chekkra, Mont-Liban, Karantina, Tel Al-Zaatar...) qui ont émaillé la guerre civile n’ont été inquiétés. Tous ont été automatiquement amnistiés. Tant pis pour les familles des victimes. Le Liban soubresaute en ce moment. Ses charniers ne sont-ils pas encore digérés? Le commandant des Phalanges Chrétiennes qui a dirigé le massacre de Sabra et Shatila, Elie Hobeika, est même devenu ministre après la guerre, en 1990, dans un gouvernement dirigé par un certain… Rafic Hariri. Ministre de quoi? Ministre en Charge des Réfugiés. Mais quel humour, ces Libanais!

15 mai 2008

Une catastrophe climatique, c'est naturel?

Je suis las de lire partout cette expression "catastrophe naturelle".


Est-ce le séisme qui tue, ou la décision administrative de construire sur un terrain sismique? Les soubresauts de la terre du Sichuan sont-ils les assassins des enfants enterrés vifs sous leur école, ou les entrepreneurs qui n'ont pas respecté les normes antisismiques ? Est-ce le typhon qui tue, ou la corruption des autorités locales qui a donné l'autorisation de construire dans une zone inondable? Les eaux du fleuve Irrawaddy sont-elles coupables, ou la junte militaire birmane (avec l'aide de la France et Total) qui préfère consacrer la moitié de son budget à l'armée, plutôt que construire des digues ou investir dans un système d'alerte précoce?


Lors d'un séisme de la même puissance au Japon il n'y aurait pratiquement pas eu de victime.  Le gouvernement chinois dispose du plus grand excédant budgétaire au monde; il envoie des hommes dans l'espace et se prépare à conquérir la Lune. La vraie question est combien vaut pour lui la vie d'un paysan chinois?
050830_katrina_hlrg_10ahlargeLe cyclone "Katrina" a fait environ 100 fois moins de victimes





que "Nargis", malgré l'inadaptation coupable des digues et une ville construite jusqu'à 6 mètres sous le niveau de la mer. Cela parce que les autorités de Louisiane, contrairement à celles de Birmanie, ont évacué leur population.


Pourtant nos journaux continuent de façon automatique à parler de catastrophes "naturelles". Ils personnalisent le séisme, le typhon baptisé "Nargis", en écrivant qu'ils ont "dévasté des régions entières"; même des ouvrages artificiels sont dotés de personnalité et d'intentions: le barrage de Zipingpu "menace d'engloutir" la ville de Dujiangyan, nous dit Le Monde aujourd'hui. Ailleurs, c'est le typhon qui est le sujet de toutes les actions: "il touche" telle localité, "il transforme" telle autre en véritable zone de guerre.


Bien sûr, ainsi est faite notre langue qu'elle personnifie tout ce qu'elle touche. Nous le savons, pourtant cela n'est pas anodin. Il est si facile alors de rendre les éléments naturels coupables, ou encore de les voir comme l'instrument d'une punition divine.


C'est clair, nous les êtres humains, nous sommes la cause des catastrophes. La croissance démographique a poussé les populations hors des zones de peuplement traditionnelles. Vieilles de millénaires, elles avaient fait leur preuves. Les modifications des écosystèmes, par déboisement de côtes maritimes et montagnes, ou endiguement des fleuves, accroissent les effets dévastateurs des intempéries. Le réchauffement climatique, d'origine humaine lui-aussi, multiplie la force et la fréquence des cyclones et inondations.


Ce n'est donc pas le moment de fuir nos responsabilités.


Ici aussi en Israël les spécialistes mettent en garde: le pays est parcouru par une des principales failles sismiques de la planète, la faille syro-africaine. Des dizaines de milliers de bâtiments anciens s'écrouleront. Le nombre de victimes potentielles est évalué à 10,000-15,000. Nous le savons depuis longtemps: la question n'est pas de savoir si un tremblement majeur va secouer la Terre Sainte, mais quand. Ce n'est qu'une question de temps et les autorités ont fait trop peu. Quant à nous, nous ne réagissons pas vraiment. N'est-ce pas parce que, malgré tout, l'idée de fatalité naturelle paralyse les esprits du petit peuple, alors que les décideurs et les riches influents sont à l'abri?


L'homme contrôle totalement l'écosystème planétaire. Plus une goutte d'eau, plus un grain de sable, plus un flocon de neige en Antarctique, plus un brin d'herbe sur cette terre n'échappe à l'influence des activités humaines. IL N'Y A PLUS DE NATURE. Alors, de grâce, cessons d'appeler les catastrophes climatiques des "catastrophes naturelles".


13 mai 2008

Indépendants, vraiment?

Je n'ai pas voulu nous gâcher la joie des festivités de la Fête de l'Indépendance avec des commentaires critiques. Quelques jours ont passé. Nos beaux drapeaux bleu-blanc "made in China" généreusement offerts par "Bank Hapoalim" flottent encore aux fenêtres des maisons et voitures; nous avons joyeusement tapé sur la tête de nos concitoyens avec les fameux marteaux en plastic; nous nous sommes goinfrés de bonnes israel60brochettes cuites sur le fameux mangal, notre barbecue national; nous nous sommes tordu le cou à admirer les acrobaties aériennes de  nos valeureux pilotes et avons presque oublié notre honte d'avoir tant de dirigeants en procès ou en prison pour corruption...
C'est vrai, c'est vrai, nous faisons une overdose d'autocritique et d'examens de conscience perpétuels. Mais tout de même je ne peux m'empêcher de poser la question: Sommes-nous vraiment indépendants?




Bien sûr, aujourd'hui aucun Etat n'est vraiment indépendant. La mondialisation et la domination économico-politico-militaire des grandes puissances et des cartels limitent cruellement la souveraineté des petits Etats comme Israël. Ce n'est pas de l'Etat qu'il s'agit.
Ma question est: le nationalisme israélien est-il une expression positive de l'autodétermination du Peuple Juif, ou seulement une réaction de défense contre ses ennemis? Puise-t-il dans son "âme nationale" ses propres fins, ou se contente-t-il de perpétuer un sionisme de réaction ou d’imitation?

C'est l'ambiance morose du Soixantenaire, les discours officiels qui sentent le réchauffé, le ronron médiatique, le cynisme désabusé de la jeunesse israélienne et mon propre manque d'enthousiasme qui me poussent à poser la question maintenant.

Un documentaire en particulier m'a frappé. Il s'appelle "Totseret Jyd" ou: "De fabrication juive", en reprenant le terme méprisant pour "juif" en Polonais. Je le trouve très significatif, et en même temps il raconte une extraordinaire histoire vraie qui mérite d'être rapportée. Il est passé sur la deuxième chaîne de la télévision israélienne à la veille du "Jour de la Shoa missileet de l'Héroïsme", soit une semaine avant le Jour de l'Indépendance. Il porte sur un gros contrat de vente d'armes et transfert technologique  signé en 2003 entre Israël et la Pologne.
La compagnie israélienne Rafael Armements a developpé un missile anti-tank sophistiqué, qui est produit sous sa licence dans les ateliers de l'usine polonaise Mesco.


Le missile de "Rafael" *
Il se trouve que l’ingénieur israélien chargé de la direction du projet - lui-même né en Pologne - est fils de rescapés. Lorsqu'il raconte à ses parents ce qu'il fait, ceux-ci, qui n'avaient jamais beaucoup parlé de la période de la guerre, lui demandent où se trouve l'usine polonaise.  Lorsqu'il leur dit "près de Skarzysko-Kamienna", ils sont sous le choc.  C'est le camp de travail forcé où ils étaient prisonniers! Ils commencent alors à lui expliquer.


Les nazis avaient réquisitionné l'usine polonaise pour le consortium allemand HASAG (Hugo Schneider Aktiengesellschaft) qui avait fait de la production de munitions un enfer pour des milliers de prisonniers juifs.
L'aile "C" des usines était particulièrement redoutée: on y fabriquait des mines sous-marines utilisant un explosif à base d'acide picrique très toxique. Les ouvriers-esclaves devenaient jaunes, leurs organes intérieurs étaient dévorés par la "picrine" et ne survivaient pas plus de trois mois. Un train amenait continuellement des "chargements" de main d'oeuvre fraîche directement à l'intérieur du camp. Ironie du sort? C'est là que les Polonais installent les lignes de production de Rafael!

Le directeur de l'usine, le Dr. Arthur Rost, n'aimait pas gaspiller les munitions. Les prisonniers à exécuter  étaient chargés en camion et emmenés sur un champ de tir pour servir de cible dans le test des munitions.


Un extrait en hébreu


Le journaliste Hayim Hecht, auteur du film, interviewe une survivante:
- ils savaient où on les emmenait?
- bien sûr qu'ils savaient ce qui allait leur arriver!
Et de citer la formule allemande alors bien connue apparemment:
- vernichtung durch arbeit (anéantissement par le travail).


Hecht affiche un sourire triomphant avec la fierté du vendeur à l'étalage qui vente son produit :
- mais cette fois, les Juifs ne sont plus les cibles vivantes, ils sont les invités d’honneur!
L'image glisse en fondu du charnier nazi au spécialiste israélien qui ajuste le tir "du meilleur missile anti-tank au monde". La "production jid" est appréciée maintenant!




Ce documentaire me met maintenant franchement mal à l'aise. Il alterne lourdement les images: champ de tir d'alors, champ de tir aujourd'hui, qui dominait alors, qui domine aujourd'hui... Il ne faudrait pas grand chose pour en faire un film de propagande antisémite qui montre comment les Juifs, pleins d'un esprit vengeur, deviennent parmis les plus gros marchands de canons du monde... S'il est légitime et sain de se réjouir de ce que nous ayons enfin les moyens de nous défendre, cette joie s'exprime trop souvent ici comme un grossier retournement, lequel participe de la même adoration de la force que celle des bourreaux, et du même mépris envers la faiblesse des victimes. Pour preuve la façon lamentable dont les survivants des camps sont traités en Israël.




"Plus jamais ça" - proclament les discours de commémoration de la Shoa. Grâce à sa puissance militaire et sa supériorité technologique Israël ne laissera plus les Juifs être des victimes sans défense.  C'est sa principale raison d'être si on écoute le patriotisme bleu-blanc primaire qui continue à sévir... et Ahmedinejad qui a bien compris que c'est le point faible de la cuirasse israélienne.
Le jour même de l'émission plus de dix missiles "Kassam" tombaient sur la ville de Sderot. Le même Ahmedinejad continue à menacer le pays d'un nouveau vernichtung... en langue perse!
Pas très convainquant comme raison d'être.


Inversion du rapport de force. Mimétisme de conflit. Revanche sur le passé. Ce n'est pas ça l'indépendance. Bien au contraire, le désir sans cesse exprimé de "normalisation" par toute une élite intellectuelle et politique du pays, qui veut désespérément voir les Juifs devenir enfin un peuple "normal, comme les autres", témoigne de la colonisation intérieure des esprits.



Soixante ans après, le rassemblement des exilés, la démocratie, l'économie prospère, l'armée puissante et les avancées scientifico-techniques d'Israël signent indéniablement la réussite du mouvement sioniste. Mais s'il ne veut pas s'épuiser comme une autre révolution réussie qui a fait son temps - le kibboutz - le sionisme va devoir puiser aux sources dormantes mais vives, fraîches et profondes des prophètes d'Israël.


Avec votre aide, ce blog essaiera d'apporter sa goutte d'eau...

7 mai 2008

Liban: l'armée "a évité le pire"?

Bernard Kouchner souhaitait vendredi: "Il faut éviter à tout prix le terrible engrenage de la guerre civile". Le Hezbollah se retire de Beyrouth-Ouest  et beaucoup poussent un soupir de soulagement. L'armée libanaise semble rassurer et dire "Nous avons évité le pire", à la façon du Maréchal Pétain.


"Il faut éviter à tout prix" oui, mais à quel prix?


hezbollah_flag"Parti de Dieu - La Révolution islamique au Liban"



Car c'est de capitulation qu'il s'agit. L'armée libanaise a désobéit aux ordres du gouvernement Siniora, ne s'est pas opposée aux combattants du Hezbollah et a cédé à toutes les revendications des kollabos libanais de l'axe Téhéran-Damas: le directeur de la sécurité de l'aéroport pourra continuer à travailler pour le Hezbollah; l'armée ne démantèlera pas le réseau de communications du Parti de Dieu, mais conduira une enquête "qui ne portera pas atteinte aux intérêts de la Résistance". Il est probable que l'armée - déjà multi-confessionnelle - est largement infiltrée par le Hezbollah (Al-Hayat). Cela peut expliquer la déclaration du chef des Forces Armées Libanaises  qui parlait de risque de division de l'armée.


Le Hezbollah va pouvoir poursuivre l'achat massif de terres au Sud-Liban qui permet de le relier à la vallée de la Bekaa, et ainsi à la frontière syrienne.
Le nouveau réseau de communication construit par une société iranienne va permettre à l'Iran et à la Syrie de contrôler directement les bases de missiles de différentes portées installées sur tout le territoire libanais. L'afflux d'armement et d'instructeurs iraniens via le port de commerce et l'aéroport international de Beyrouth ne pourra plus être empêché par une armée nationale d'avance défaite.



C'est d'une façon très semblable que le Hamas a pris contrôle de la Bande de Gaza. La ressemblance n'est pas fortuite: le parrain de l'opération est le même. La situation aussi était comparable: un mouvement islamique fort du soutien populaire, seule opposition à un pouvoir "pro-occidental" mafieux et corrompu.



Al-Qaidah ne veut pas être de reste: la semaine dernière Zawahiri a parlé de transformer le Liban en une "forteresse islamique contre les Croisés et les Juifs".


Mais le Liban a peut-être évité la guerre fratricide. Nous voilà rassurés.

6 mai 2008

Emergence créatrice

Nous avons vu que pour un scientifique l'idée de création et, à la limite celle d'un Dieu Créateur "situé" au-delà de l'univers et "non-existant" physiquement, peut se défendre. Mais que ce démiurge intervienne directement dans l'histoire, et de plus s'y révèle de façon qu'on puisse qualifier de personnelle comme il le fait dans la Bible, voilà qui est beaucoup plus indigeste. Peut être cela sera-t-il moins étonnant en examinant de plus près la façon dont il procède...
La vision scientifique du monde décrit la complexification progressive de la matière, depuis les quarks et les particules élémentaires jusqu’à l’homme et les sociétés humaines. Comment se fait cette construction, degré après degré?


Apparemment elle se fait d’elle-même, chaque niveau de complexité engendrant les suivants par intégration, au fur et à mesure du refroidissement de l’univers. Dans le monde vivant, Darwin l’a expliqué par l’action des forces immanentes du hasard et de la sélection naturelle.


Pourtant là-aussi la simple causalité physique est mise à mal; un phénomène étrange apparaît lors du passage d'un niveau de complexité au suivant: comme surgies d'on ne sait où apparaissent des propriétés nouvelles, non déductibles de celles des éléments constitutifs inférieurs, qui font que le "tout est plus que la somme de ses parties".


Ne sachant qu'en faire, on parle de propriétés "émergentes", comme si elles préexistaient en quelque tréfonds caché et en sortaient soudain.
Par exemple: tout ce que nous savons des particules "élémentaires" ne nous permet pas d'en déduire le comportement de l'atome qu'elles constituent. Il y beaucoup de surprises en découvrant l'atome; il présente des propriétés dans ses relations à d'autres atomes ou à la lumière qui ne sont pas exprimables en termes de physique de particules. C'est un autre monde.
On peut essayer après-coup, connaissant l'atome en termes de physique atomique, d'analyser ses propriétés en fonction de celles des particules et des forces qui le composent. On peut le faire "de haut en bas" par analyse depuis l'atome, mais si on veut faire le contraire, procéder par synthèse de bas en haut, on se heurte à la complexité des calculs. Décrire même l'atome le plus simple par ses particules dépasse la capacité des plus gros ordinateurs. Alors des atomes plus gros, des molécules, c'est tout simplement impossible!


La solution: on cache pudiquement le système qui dépasse notre entendement derrière un concept et l'on invente une terminologie ad hoc pour décrire ses nouvelles propriétés. C'est ce qui fait qu'à chaque niveau apparaît une nouvelle science, laquelle a beaucoup de mal à communiquer avec ses consoeurs… Si tel n'était pas le cas, on devrait pouvoir expliquer la psychologie par les propriétés des quarks!
Ce principe de contournement de la complexité est typique des mathématiques et c'est ce qui fait leur puissance: un ensemble, avec ses éléments et leurs relations peut être désigné d'une simple lettre, pouvant ainsi être manié comme un simple élément dans un système d'ordre supérieur, auquel on ajoute des relations supplémentaires. En théorie des nombres, l'infini une fois nommé, désigné par "" peut être aisément manié et entrer dans une arithmétique de l'infini qu'il serait impossible d'envisager autrement.


L'approche réductrice, poussée à l'extrême, devient absurde. Un-tel dira par exemple que l'amour vient des hormones. Il ne voit pas qu'une hormone est en fait une forme de message chimique dans un organisme biologique coiffé d'un cerveau, qui sont ensemble le support "matériel" des émotions et des pensées d'un esprit unique. C'est aussi stupide que de dire qu'un livre n'est rien d'autre que du papier et de l'encre…


490px_Frans_Hals___Portret_van_Ren_C3_A9_Descartes













La notion d'émergence contredit donc le réductionnisme de Descartes: il n'est pas possible de comprendre tous les phénomènes en les réduisant systématiquement à leurs composantes plus simples.


René Descartes. Portrait by Frans Hals, 1648












Récemment, Robert Laughlin, prix Nobel de physique, est allé jusqu'à suggérer que le principe d'émergence est à l'origine des lois de l'univers et non le contraire. Il n'y aurait donc pas de loi fondamentale à rechercher dans l'infiniment petit puisque chaque loi serait une propriété émergente des lois à l'échelle inférieure.


Maintenant jetons un coup d'œil sur l'ensemble des différents niveaux de complexité et leur émergence l'un de l'autre, comme le fait Joël de Rosnay dans son "Macroscope".


Quarks et gluons forment les particules élémentaires. Déjà, lorsque trois quarks s'assemblent, ils forment un proton dont les propriétés ne sont pas présentes dans les quarks pris individuellement.
Puis les particules s'assemblent en atomes, les atomes en molécules, macromolécules, virus, organites, cellules, végétaux et animaux primitifs pluricellulaires, animaux supérieurs, sociétés animales, homme, sociétés humaines… A chaque étage se produit un saut de complexité quand un système devient simple élément du système d'ordre supérieur, pour former ce que nous pouvons appeler une structure gigogne. Le quantitatif se mue en qualitatif, caractérisé par des propriétés nouvelles: au monde de la synthèse atomique au sein des étoiles succède celui de la chimie minérale des poussières, astéroïdes et planètes, puis celui de la chimie organique prébiotique, suivie du vivant, puis de l'humain avec la conscience et le langage.


Voyons s'il est possible de dégager des principes généraux qui transcendent les échelles et les niveaux de complexité.
On ne peut nier que ce regard du point de vue de la complexité dessine un sens:


Tout d'abord le plus simple apparaît aussi comme le plus ancien, le plus complexe est le plus récent. Même si une image détaillée laisse apparemment beaucoup de place à une errance indécise, les sauts de la complexité-gigogne sont aussi des sauts dans le temps sur une ligne passé-futur.


Une autre caractéristique constante au-delà des changements d'échelle: chaque niveau plus complexe est aussi quantitativement plus réduit. Dans l'univers, la matière condensée en atomes ne représente qu'un centième de toute la matière, le reste étant à l'état de plasma particulaire; les atomes qui font partie de molécules sont eux-aussi "un petit reste d'élus" d'entre tous les atomes; ceux qui ensuite entrent dans la structure des molécules complexes, les composés organiques, ne sont que six principalement: C O H N S P, et les molécules organiques ne sont qu'une partie infime du monde chimique. Et ainsi de suite, la matière vivante n'est qu'"un petit reste" animé parmi des masses de matière organique trouvée sur terre et diverses planètes, les virus sont bien plus nombreux (50 millions par ml d'eau de mer) que les bactéries, celle-ci que les flagellés… jusqu'à quelques grands primates et une unique espèce humaine.


Cette loi de l'élection du petit nombre de créatures plus complexes se retrouve à tous les niveaux. Elle est associée avec le principe d'unification complexifiante qui est au cœur de l'émergence elle-même.


L'univers entier lui-même, à en croire la cosmologie moderne, n'est que la trace qui subsiste d'un cataclysme inimaginable: au big bang a été créée une quantité semblable de matière et d'antimatière; puis ces dernières se sont annihilées mutuellement, et seule une très légère dissymétrie dans cette annihilation a fait qu'un résidu de matière d'environ un milliardième ait subsisté – notre univers - tel le rideau de fumée après une explosion.


Un principe électeur d'"unification complexifiante", voilà qui semble un peu paradoxal. Unification – car il y a regroupement de plusieurs éléments au sein d'un seul système. Complexifiante – car les éléments regroupés ne perdent pas leur spécificité. Bien au contraire, leur relation avec les autres et leur participation complémentaire à la construction de l'ensemble global accentuent encore plus leur individualité. Chaque TIEPOLOJACOBDREAMélément contribue au tout, mais le tout a aussi un effet en feed back renforçant le caractère irremplaçable de chaque partie.


Tiepolo - Le rêve de Jacob - 1726-29 Palazzo Patriarcale, Udine


Les niveaux de complexité forment comme une "échelle de Jacob" où montent et descendent les anges en une boucle rétroactive.
Cela se voit clairement si l'on compare les cellules différenciées d'un animal pluricellulaire à l'unique cellule des protozoaires qui doit assurer toute les fonctions de l'organisme; même différence entre l'homme d'une société à division poussée du travail et les chasseurs-cueilleurs polyvalents d'une tribu primitive.


En hébreu cela tient en une racine: YH’D, qui donne à la fois "ensemble" (YaH’aD) et "unique" (YaH’iD), racine proche de 'eH’aD, "un". En français, de la même façon, nous pourrions parler d'"union des uniques".


Un autre trait traverse tous les niveaux: plus l'être est complexe, plus il possède de degrés de liberté. Son monde intérieur devient plus stable et plus autonome; le grand nombre des sous-systèmes fonctionne comme une redondance d'information qui rend le système intérieurement robuste et plus indépendant des influences de son environnement. Ses relations avec ses semblables et le monde s'enrichissent au point qu'il transforme de plus en plus le milieu qui l'entoure. Il en prend une "connaissance" plus étendue. Il tend vers la liberté.
La conscience humaine, la culture, n'apparaissent pas un accident lorsqu'on suit pas à pas la montée des êtres vers elles. C'est en ce sens que la Kabbale classe les créatures en quatre ordres successifs: minéral, végétal, animal, parlant.


Ce principe qui créé du nouveau en rassemblant, en conférant plus d'individualité et de liberté et en créant de nouvelles lois, me paraît ressembler de plus en plus au Dieu de la Bible. Dieu-Un, Dieu d'Amour et de Justice. Dieu personnel en ce sens qu'il confère de la personnalité et paraît donc se soucier de chaque créature en particulier.


Quant à la notion biblique de création, son étymologie la fait paraître étonnamment proche de la notion d'émergence et de sélection naturelle; la racine BR', créer, former, être gros, est proche des racines BR: extérieur, pur, clair; BRR:sélectionner, mettre à part, éclaircir, certain; BRH: guérir, restaurer, nourrir;  BRIT, alliance, traité.



Nous avons vu que la montée en complexité oriente la flèche du temps. Alors pourquoi ne pas la prolonger et essayer d'extrapoler pour voir où cela nous mène?


Cela nous mène à un niveau de complexité nouveau qui émerge avec ses propres lois, là où la création continue en ce moment-même à s'inventer dans un bouillonnement évènementiel : Histoire de l'homme.
Les humains se regroupent d'abord en familles, hordes, puis clans; les clans en tribus; les tribus en ethnies ou peuples. Des ethnies ou des Etats peuvent se fédérer. Les Etats fédéraux semblent avoir l'avantage sur les Etats monolithiques. Ces derniers s'épuisent à maintenir leur uniformité, alors que les premiers peuvent s'enrichir de leur diversité et former plus facilement des ensembles vastes et puissants...


C'est là où nous sommes arrivés.


Et plus loin? Il ne reste qu'une possibilité: l'unification complexifiante des peuples engendrera l'Humanité Une et fédérée dans toute sa diversité.
C'est ce qu'avaient vu les prophètes d'Israël:


Alors Je rendrai limpide la langue des peuples pour qu'ils appellent tous YHWH de son nom et qu'ils le servent d'un même effort (Sophonie 3, 9, ma traduction).


YHWH sera alors Roi sur toute la terre, en ce jour YHWH sera Un et son nom sera Un (Zacharie 14, 9, ma traduction).


C'est comme si en grimpant à l'échelle de Jacob de la complexité on arrivait à "sa tête qui touche le ciel" et rejoignait la prophétie...


CHILDJACOBDREAM
Comment l’”unification complexifiante” de l’humanité va-t-elle se faire?


L'échelle de Jacob - Enfant de huit ans - Hongrie


Le “principe électeur” entrera-t-il là-aussi en action? Voyez-vous à présent où je veux en venir?
La suite au prochain numéro!

4 mai 2008

Un Créateur non-existant

Je vais essayer de résumer en une série de messages pas trop longs ma conception du monde.


A mon avis, la première question métaphysique est "le monde a-t-il été créé ou non?" La question classique: "pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien?" vient ensuite. En effet, cette question admet implicitement le caractère contingent de l'être, donc la possibilité de la création. Sans création, l'être du monde est absolu, sans cause "extérieure". Plus de méta-physique possible. Sans création, la question de savoir pourquoi il n'y a pas rien devient oiseuse: s'il n'y avait rien, nous ne serions pas là pour poser la question. Avec la création la question devient beaucoup plus intéressante: "pourquoi y a-t-il quelque chose devient "pourquoi le Créateur a-t-il créé le monde?" "La création a-t-elle une finalité?"


Est-il possible de trancher rationnellement cette question? La physique nous permet-elle d'y répondre?


Jan_Matejko_Astronomer_Copernicus_Conversation_with_God


Jan Matejko: Copernic - Conversation avec Dieu


La possibilité – dans l'hypothèse d'une absence de création – que le monde soit immuable n'est pas soutenable: La cosmologie moderne, en particulier avec la théorie de "big bang", décrit le cosmos se développant par expansion à partir d'une singularité physiquement indescriptible : il est clair aujourd'hui que rien dans l'univers n'existe de façon immuable et de toute éternité; l'équivalence einsteinienne entre matière et énergie volatilise le caractère tangible de la première pour en faire un concentré de pures radiations; les quatre grandes forces , les deux qui modèlent le cosmos - gravité et électromagnétisme - et les deux autres qui structurent l'atome - interaction forte et interaction faible - apparaissent bifurquer à partir d'une seule force unique au moment du big-bang, ce qui semble désigner du doigt un "Créateur" mystérieux; d'autant plus mystérieux que le fameux "mur de Planck" de la physique quantique rend l'origine théoriquement inconnaissable et inatteignable, repoussant irrémédiablement l'instant zéro au-delà de notre horizon.


La deuxième possibilité – toujours dans l'hypothèse d'une absence de création – est d'inscrire toute évolution du cosmos dans un processus cyclique. C'est ce que fait le physicien qui veut éviter la notion de création ou la confrontation avec un dieu des philosophes, "causes des causes" qui semble pointer son nez ici: il propose que le big-bang puisse être simplement précédé du "big-crunch" d'un précédent univers, big bangs et crunchs se succédant à l'infini. Cette succession de plus pourrait ne pas être linéaire: une infinité d'univers-bulles parallèles éclateraient de façon aléatoire au sein d'une mousse méta-cosmique. Etant donné le nombre infini d'univers parallèles, rien d'étonnant à ce que l'un d'entre eux ait "produit" l'homme par hasard...


Voilà que nous retrouvons les cycles éternellement recommencés chers aux religions païennes!


A partir de là, notre scientifique voit la matière corpusculaire développer à l'infini ses capacités auto-organisatrices. Les éléments de base simples s'associent de façon spontanée en ensembles plus complexes qui deviennent eux-mêmes les briques d'une construction d'ordre supérieur. Et ainsi de suite jusqu'aux niveaux biologiques les plus complexes, et jusqu'à l'homme lui-même.
Le tout peut s'expliquer ainsi en terme de propriétés de la matière première dont ce "tout" est fait, en une longue chaîne causale. C'est l'approche réductionniste cartésienne par excellence.


Au fond, ce matérialisme moderne n'est pas athée: il propose bien un principe explicatif ultime, simplement son créateur s'appelle "matière" ou "nature".
En outre, le problème avec cette notion de répétition cyclique est que, selon la relativité, le cosmos est un continuum spatio-temporel et que le temps naît avec l'espace. Or en l'absence d'un lien temporel on peut difficilement imaginer une relation causale d'un univers à l'autre. Et comment envisager une cause matérielle au big-bang qui lui-même est à l'origine de la matière?


CompasCréation par le compas
Barthélemy l’Anglais
Livre des propriétés des choses



Mais peut-être le caractère inconnaissable de l'origine ne reflète-t-il que l'insuffisance de la physique actuelle? Lorsque la grande théorie unificatrice sera trouvée, celle qui intégrera la physique quantique et la Relativité, la singularité pourrait être résolue. A partir de là, tout pourrait enfin être expliqué par simple déduction mathématique.
Quant on réalise à quel point l'esprit de notre prochain nous est impénétrable (surtout celui de notre prochain du sexe opposé!) la foi matérialiste en l'intelligibilité finale du tout semble bien naïve. Mais nous sortons du domaine physique, et je réserve mes critiques du réductionnisme physique pour un prochain article.


Autres questions: s'il y a création, cela veut-il dire nécessairement qu'un créateur existe? Et peut-on parler d'existence au-delà de ce monde spatio-temporel? Notre langage, donc notre pensée construite, ne peuvent exprimer que des réalités d'ici-bas. Arrivés à ce point, il semble qu'un sain scepticisme épistémologique sera le bien venu. Comme dit le Siracide:


Ce qui est au-delà de ta compréhension, ne l'explique pas, sur ce qui t'est dissimulé, n'enquête pas (Ecclésiastique 3, 21, j'ai traduit de l'hébreu depuis T.B. Hag. 13a).


Du point de vue de la physique actuelle le pourquoi du big-bang reste donc nimbé de mystère. L'inconnaissable source de tout être peut être tout aussi bien nommée l'Inconnaissable, "qui fait être", ce qui est un des sens du tétragramme YHWH et respecte la théologie négative d'un Maïmonide.creatio
Si l'on se cantonne humblement à l'univers physique, "exister" signifie être situé dans l'espace et le temps. En ce sens, en tant que "Il fait être", on ne peut dire de cet inconnaissable qu'il "est"; en tant que faisant exister, on ne peut dire qu'il existe, dans la mesure où tout ce qui existe est créé… La question de l'existence du Créateur, compris en tant que source de toute existence, perd alors toute pertinence.




En fait, constatant le caractère indécidable du point de vue physique ou épistémologique de la question du Créateur, nous devons probablement renoncer à convaincre rationnellement le tenant de l'approche matérialiste. Entre les deux approches chacun fait en réalité son choix.
Mais il faut voir que ce choix est existentiel: faire de l'homme un produit de la matière ou de la nature en fait un être lui-même matériel, donc totalement connaissable en théorie et inscrit dans le déterminisme des lois de la nature. Il ne dispose d'aucun point d'ancrage hors du système nature pour le dominer ou dominer sa propre nature. Comment pourrait-il s'en libérer pour être capable d'un acte vraiment libre comme une œuvre d'art ou un don gratuit?
Personnifier le Créateur – à condition de ne pas oublier qu'il s'agit d'un pis-aller dû aux limitations de la pensée humaine – a au moins l'avantage de rendre compte du libre arbitre et de la créativité de l'être le plus complexe de la création.
Alors l'homme, preuve du Créateur?
Mais on objectera aussitôt que le soit-disant libre arbitre de l'homme n'est qu'une illusion, et même une prétention risible… Le droit, la justice qui se fondent sur cette notion? Simplement les moyens d'assurer l'ordre social qui utilisent hypocritement les notions de libre-arbitre et de dignité humaine transcendante pour justifier leur force de coercition…
De fait, la neurophysiologie, la psychologie et la sociologie peuvent aisément conforter cette façon de voir. Là encore, l'apparente imprévisibilité des actions d'un individu est attribuée à notre méconnaissance de facteurs d'influence trop nombreux. Lorsque nous aurons des ordinateurs suffisamment puissants...


Précisément c'est l'acte que je proposerais en réponse: Certes, qui peux prétendre que sa volonté peut être libre de toute pulsion déterministe?


Le Talmud illustre ainsi sa réponse:


Un homme né sous Mars fera couler le sang. Rav Ashi a dit : [Mais il ne tient qu'à lui de devenir] soit un chirurgien, soit un bandit, soit un boucher soit un circonciseur. Rava a dit : Moi aussi je suis né sous Mars [et je ne suis pas devenu l’un d’entre-eux]. Abbayeh lui répondit : Maître aussi punit et tue [en tant que juge]… (T.B. Shab. 156a)


Autrement dit, il ne s’agit pas d’ignorer les déterminismes cosmiques ni de réprimer ses pulsions, mais de les orienter vers une bonne fin. Ainsi la Loi, qui peut être au choix accomplie ou transgressée, est l'espace de notre liberté.


La kabbale décèle une allusion à cette puissance de l'acte dans le corps humain: élevées, nos mains atteignent plus haut que notre tête…


Alors au diable les argumentations des philosophes qui peuvent toujours se contredire interminablement! Agissons!

Jérusalem est duelle. L'unité est au-delà, à construire ensemble

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